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ces gens simples et crédules des actes publics de l’état comme d’un Grimoire auquel ils font dire tout ce qu’ils veulent. La vie isolée des habitans ne favorise que trop cet abus. On sait ce que c’est qu’un village au Paraguay. La chapelle avec son presbytère, un cabaret, puperia, la forge d’un maréchal ferrant et une boutique d’épicier constituent le bourg ; les maisons ne sont pas groupées alentour, mais répandues au loin dans la campagne.

On ne s’attend pas sans doute à trouver dans ce pays une population bien dense ; les données manquent complètement pour en fixer le chiffre précis. Le dépouillement des registres de paroisse donnait pour le dénombrement de 1780 un total de quatre-vingt-dix-huit-mille ames, y compris les cinq missions de la rive gauche du Parana Depuis lors les évaluations des voyageurs ont singulièrement varié. En 1818, un rapport présenté au congrès américain fixe le nombre des Paraguayos à trois cent mille ; un autre voyageur le porte, en 1846 ; à sept cent cinquante mille ; on dit même qu’il dépasse un million. Ici chacun peut se déterminer au gré de son intérêt ou de son caprice. Nous ferons seulement observer que, si l’on compare les chiffres de population assignés par ces mêmes voyageurs aux points où ils ont résidé et où ils ont pu faire des observations exactes avec les chiffres du : dénombrement de 1780, l’augmentation est à peine sensible ; le chiffre des milices ; c’est-à-dire de toute la population active, nous est connu, il ne dépasse guère vingt mille hommes ; et l’histoire de la race guaranie est en contradiction avec les assertions vraiment gratuites qui tendent à lui attribuer un accroissement si rapide.

Quel intérêt un pareil pays peut-il offrir au commerce de la France, de l’Europe ? Quelques cargaisons de draps communs, de flanelles, d’indiennes ordinaires, objets dont l’Angleterre et les États-Unis se disputent le monopole dans le monde entier ; quelques machines à vapeur, si l’industrie s’y développait assez pour les employer dans les sucreries, suffiraient évidemment, à ses besoins. Ce qui lui manque surtout, c’est le sel ; mais sans doute il ne le fera pas venir d’Europe. Et quels produits spéciaux peut-il nous offrir en échange ? Des bois, du tabac, la yerba ? L’Amérique méridionale seule fait usage de la yerba ; on l’expédie à Buenos-Ayres, au Pérou et au Chili. Pour le tabac, bien des essais ont été tentés en Angleterre, en France, à Hambourg, afin de le faire entrer dans la consommation générale ; le goût public ne l’a pas adopté, et Buenos-Ayes reste encore son principal marché. Quant aux bois de charpente et d’ébénisterie, il est bien vrai que les forêts du Paraguay en produisent de supérieurs même à ceux du Brésil ; mais expédiez d’Europe à l’Assomption un navire chargé de marchandises manufacturées pour une valeur de 400,000 francs, il faudrait quarante navires de même tonnage pour rapporter en bois l’échange de cette seule cargaison ; une telle spéculation est-elle praticable ? Quant