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qui auraient gagné 10 ou 15 francs par jour, c’est-à-dire par an une somme totale de 25 à 30 millions, dont la plus grande partie eût fait retour à leurs familles ; et pour quel résultat ? nous osons à peine le dire : afin que le général Oribe ; président de fait de la république de l’Uruguay, n’entrât pas à Montevideo, sa capitale, d’où nous pourrions toujours, quand il nous plairait, avec deux frégates, le déloger, s’il y était établi ! Est-il croyable qu’aucune voix ne s’élève dans l’assemblée nationale contre la prolongation de cet état de choses, surtout en présence des difficultés du trésor, quand, pour rétablir l’équilibre de nos finances, on ne sait s’il faut avoir recours à l’emprunt, augmenter les impôts déjà si lourds, ou en inventer de nouveaux, inconnus jusqu’à ce jour ?

Un second traité signé par M. le contre-amiral Le Prédour est intervenu mais depuis quatre mois le gouvernement hésite à le soumettre à la ratification parlementaire. Sommes-nous donc menacés de voir se reproduire encore cette interminable question de la Plata et les divagations qu’elle enfante : les uns proposant l’abandon pur et simple de l’intervention, les autres demandant une expédition dans l’État Oriental ou sur Buenos-Ayres contre le général Rosas, d’autres encore rêvant l’ouverture des fleuves pour pénétrer dans l’Amérique centrale, pour établir des relations directes avec le Paraguay, dans l’espoir d’y trouver un appui pendant la lutte, une mine inépuisable pour notre commerce ! Il y a dans toutes ces discussions quelque chose de chimérique qui nous paraît tenir surtout à l’ignorance où l’on est en France des contrées que baignent la Plata et ses affluens. En jetant ici quelques clartés sur le Paraguay, sur la Confédération argentine, sur la République Orientale, en faisant connaître ces pays dans leur état vrai, dans l’action qu’ils exercent les uns sur les autres, dans l’importance qu’ils ont pour nous-mêmes, en révélant, s’il se peut, leur vie intime et en effaçant des illusions dangereuses, nous croyons remplir un devoir impérieux.


I. – LE PARAGUAY.

Aucune route frayée ne mène par terre à cette enclave de l’Amérique du Sud. Le désert l’entoure de toutes parts. Deux profonds cours d’eau lui forment une ceinture : le Parana, puissant comme la mer dans la langue des sauvages, et le Paraguay ou rivière des Payaguas, Indiens pêcheurs qui vivaient sur ses eaux et le long de ses rives, et dont la contrée tire son nom. La frontière du nord, se perd dans des terres. Coupées de ruisseaux et de lacs, la plupart du temps noyées ; là errent à l’aventure les tribus féroces des M’bayas. À ’l’occident, autre désert : le Chaco, scellé jusqu’ici à toute civilisation et qui, semblable à la