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excusables peut-être. Ici les lois sociales sont atteintes, et l’ordre du monde lui-même est troublé.

Mais supposons que tout cela n’existe pas, et voyons plutôt ce qui devrait être ; car, en considérant seulement ce qui devrait être, nous connaîtrons mieux les devoirs qu’un homme de lettres doit remplir. Voyons quels sentimens cette crise terrible peut développer dans un honnête cœur. D’abord tout semblera irrémédiable, et le jeune homme s’écriera, la mort dans l’ame, qu’il est abandonné de la terre et des hommes ; mais, s’il est vraiment noble, s’il est vraiment digne de tenir une plume au service du bien et de la vérité, il ne tardera pas à entendre une voix sévère et douce qui lui répondra : Abandonné de la terre et des hommes ! tu n’es pas abandonné de Dieu ; abandonné des hommes ! comment pourrais-tu l’être ? ils ne t’ont jamais connu, comment auraient-ils pu t’oublier ? Tu n’es jamais allé vers eux, frappe donc à leur porte, dis-leur ton nom, et sois sûr qu’ils le retiendront, pourvu que tu viennes à eux, non comme un vil saltimbanque ou comme un facétieux conteur fait pour les amuser un instant, mais comme un homme véridique et sincère, et que tu ne leur fasses entendre que des paroles capables de remplir leur esprit pendant toute leur vie, des paroles dont ils puissent se servir également dans la joie dans la douleur, dans leurs affaires privées, dans l’accomplissement de leurs devoirs civiques.

Aussitôt que cette révélation intérieure s’est accomplie, toutes les blessures sont cicatrisées. Dès-lors le jeune homme a accepté sa vie, il l’a raisonnée, et, au lieu d’y voir un gouffre comme tout à l’heure, il y voit un sol ferme sur lequel il peut marcher avec confiance pour s’avancer vers ses destinées ultérieures. La terre lui appartient ; car il a pris confiance en lui-même. Il sait que le ciel n’est point d’airain pour lui, et que ses profondeurs bleues et dorées cachent une divine intelligence qui, selon la parole du sage, préfère entre tous le spectacle d’une ame juste et véridique aux prises avec l’adversité. Les sentimens de piété et de religion se développent ainsi dans son cœur. Que le monde ou le sort lui posent maintenant tant qu’ils le voudront la couronne d’épines sur la tête, il pourra la porter gaiement, car il sait que ces épines s’ouvriront un jour et s’épanouiront pour orner son front ; puis, par l’effet de la toute-puissante habitude, par l’effet aussi de cette confiance toute nouvelle, il arrive à ne rien regretter du passé ; il arrive à se dire qu’il ne s’est pas trompé, et il répond à la Fortune, qui l’avait jadis si rudement interpellé : Suis-je coupable d’avoir obéi à ma nature et d’avoir suivi ses penchans aussi innocemment qu’une onde roule ses flots ? Suis-je coupable parce qu’il s’est rencontré des rochers autour desquels ces ondes se sont brisées en grondant ? Suis-je coupable parce que des vents venus je ne sais d’où ont soufflé sur les