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c’est que le radicalisme est assez avisé pour se contenir lui même. Soit ; mais c’est aussi parce que le tempérament général ne souffre plus un remuement excessif, parce qu’après tout, en l’état des circonstances et des ames, les uns et les autres, tant que nous sommes, nous nous remuons, à proprement parler, dans le vide, et dans ce milieu-là tous les bruits s’amortissent. La révision fait donc autant de bruit que notre moral en comporte, et la preuve encore une fois, c’est qu’elle fait plus de bruit que tout le reste ; tel incident qui se soit rencontré, ce n’a pas été une diversion. Avec une autre disposition du public, le banquet de Dijon eût pour long-temps accaparé toutes les controverses : que l’on se rappelle seulement les revues de Satory ! Si peu qu’aujourd’hui l’on n’eût pas été dominé par l’urgence de la situation nouvelle, si peu qu’on eût eu de marge devant soi, quelle belle occasion pour les pouvoirs séparés - à la façon de M. de Cormenin – « de se disputer, de crier, de se battre sans se tuer ! » (Le mot est précieux, et nous y voulons revenir.) Combien n’aurait-il pas circulé d’histoires et sur la brouille et sur le raccommodement ! Par une contradiction assez inquiétante, il en est de notre jeune république, où tout a l’air de se passer sur le forum, comme des vieilles monarchies, où tout est caché dans l’ombre du palais : nous aimons passionnément les anecdotes. Les peuples qui commencent ont des épopées pour charmer leur imagination ; les anecdotes sont les épopées des peuples sur leur déclin ; ce symptôme n’est pas moins clair ici que beaucoup d’autres. L’un des inconvéniens du discours de M. le président de la république à Dijon, et certes il s’en faut que ce fût le seul, C’était de prêter une abondante matière à l’interpellation et à l’anecdote ; mais quoi ! l’une et l’autre ont été bientôt taries, car, avec cette idée fixe de la révision, le discours présidentiel est devenu tout de suite une pièce de plus au procès, au lieu de faire un procès à lui tout seul.

Rien en effet n’attire maintenant l’attention, dans l’assemblée comme au dehors, rien que ce qui aboutit là ; ce n’est que par rapport à cette entreprise-là, et selon qu’ils la concernent, que l’on s’intéresse aux travaux parlementaires. On a commencé à discuter un projet du gouvernement qui demande la prorogation de la loi rendue il y a deux ans, et déjà maintenue l’année dernière, contre les clubs ; on a commencé la troisième délibération sur la loi de la garde nationale. Il n’a pas été difficile d’apercevoir qu’au fond de ces débats et pour chaque orateur il y avait en perspective, derrière la question même qui se débattait, la question permanente de la révision. Là où il ne s’agissait point de la révision, tout a traîné. C’est à peine si l’on en a pu finir avec la loi ; des sucres. La première délibération sur le crédit foncier a été épuisée après un seul discours qui n’était cependant pas de nature à décourager des adversaires, quoique M. de la Moskowa eût traité le crédit foncier comme s’il avait eu sujet de lui vouer quelque rancune. Enfin l’on a voté la proposition de M. Sainte-Beuve, relative aux ventes publiques de fruits et de récoltes pendans par racines mais la langueur ordinaire avec laquelle les assemblées se prêtent à étudier des lois d’une utilité si spéciale était encore accrue ce jour-là par la préoccupation très visible des fêtes scabreuses de la Bourgogne. Puisqu’ainsi les esprits n’ont pas cessé d’être tout entiers à la révision, nous en pouvons bien encore parler tout à notre aise.

Nous avons assez montré le sens et la nécessité d’un mouvement que l’on