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de ce côté qu’il doit se tourner, s’il veut acquérir les perfections qui lui manquent.

Après M. Pierre Dupont, on pourrait citer encore quelques poètes qui se disent populaires ; mais en réalité ce serait tomber dans les infiniment petits. À quoi bon nous occuper de toutes les chansons et de tous les pamphlets rimés qui peuvent naître et vivre ignorés et obscurs ? Parmi ces poètes, un seul est connu : c’est M. Pierre Lachambeaudie. L’Académie a couronné son recueil de fables ; le public l’a lu. Une modeste popularité l’a récompensé de la modération qui règne dans ses vers. Les fables de M. Lachambeaudie sont parfaitement inoffensives. En général, tous ces essais de poésie populaire appellent la même conclusion. — O vous qui prétendez au rôle d’interprètes du peuple, dirons-nous à M. Dupont, comme à tous les jeunes poètes qui aspirent à ce titre dangereux de poètes populaires, racontez les souffrances du peuple ou chantez ses vertus, il n’y a rien là que de très légitime ; mais, au nom de Dieu, ne mettez pas vos sentimens à la place des siens, ne donnez pas vos désirs et vos passions pour les siennes ; respectez-le, car il a une haute origine. Le peuple est né véritablement avec le christianisme ; c’est depuis cette époque qu’il a eu une voix pour s’exprimer, car la poésie populaire est entièrement inconnue dans l’antiquité. Ménagez les vertus du peuple, et surtout ne lui enseignez point le mensonge : lorsque le mensonge, qui est le vice le plus dissolvant des sociétés, provient des classes éclairées ou des classes qui gouvernent, leur châtiment ne se fait pas attendre, et les révolutions se chargent de les punir. Une classe d’hommes n’a dans une nation qu’une importance relative après tout. Rongée par la corruption, elle meurt, et puis la société humaine reprend le cours de ses destinées ; mais lorsque, dans une nation, ce sont les classes populaires elles-mêmes qui se mettent à mentir, ce n’est plus telle ou telle forme de gouvernement qui périt : c’est cette nation elle-même, car alors il n’y a plus de remède possible, les sources de la santé et de la vie étant corrompues et taries. Or, en France, on a appris au peuple à mentir, et il a déjà commencé à le faire. Que les poètes populaires s’interrogent donc et se demandent s’ils veulent être les promoteurs d’une décadence universelle, ou les instrumens d’une guérison possible par le retour à tout ce qui est le contraire du mensonge, de l’artifice et des insinuations perfides.


ÉMILE MONTÊGUT.