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dit le livre divin ; eh bien ! alors ne la cherche pas. » Et en effet celui qui cherche avant tout à réussir mine par avance les fondemens de son édifice futur. Je n’ai jamais pu voir un homme courir après la louange facile sans me rappeler involontairement cette flatterie de Potemkin, qui avait placé dans les steppes arides de la Russie des villages entiers, des jardins et des kiosques artificiels pour récréer et abuser un moment la vue de Catherine en voyage. Or, ce petit volume manifeste clairement que la pensée du poète est trop préoccupée d’une chose : réussir. À chaque instant, des allusions indirectes aux événemens politiques viennent gâter les plus heureux sentimens, et les flatteries, ou plutôt, tranchons brutalement le mot, les flagorneries perpétuelles à l’adresse de telle ou telle classe de la société viennent arrêter et glacer les émotions naissantes, auxquelles nous ne demandions pas mieux que de nous laisser entraîner. En employant un pareil système, on peut bien à coup sûr conquérir immédiatement le succès ; mais on ne le maintient que par d’autres moyens plus élevés et plus conformes au but et à la nature de l’art.

Un autre grand défaut de ces poésies, c’est qu’elles sont systématiques. Le poète, dirait-on, unit à des instincts très vrais, très populaires, la subtilité d’esprit la plus bizarre, si bien qu’il touche toujours à la réalité par un côté, et qu’il en sort bénévolement pour entrer dans l’abstrait. Imaginez un mélange de Lycophron et de Burns, et demandez-vous ce qui pourrait sortir de là. Des accens très vrais s’y marient à la métaphysique la plus alambiquée, et ce mélange vous fait éprouver à chaque instant le mouvement de dépit qu’on éprouve en trouvant précisément le contraire de ce qu’on cherchait. Le socialisme est ramené perpétuellement de la manière la plus inattendue ; la description d’un objet naturel, une fête de village, une fleur, tout sert à ramener le système. On dirait que toutes ces poésies ont été composées avec l’arrière-pensée d’y introduire quelques bribes de philosophie contestable. Joli métier pour un poète que de coudre des phrases de premier-Paris avec des sentimens, et d’entourer de déclamations les pensées les plus ingénieuses !

Le petit volume de M. Dupont relève de trois genres divers : les chansons politiques, les chants populaires, les chants de fantaisie. Les pires de toutes ces pièces assurément sont les chansons politiques. O trop juste châtiment ! il n’y a pas dans tous ces chants un vers réellement poétique. Triste parti que celui qui est impuissant à fournir à un poète un accent capable de remuer et d’intéresser à lui ! Si M. Pierre Dupont a voulu composer des chants de propagande socialiste, il peut être satisfait, il a réussi ; mais, s’il a cru faire des chants d’un ordre plus élevé, il s’abuse. Ces chants politiques ne sont pas meilleurs et sont même pires que ce malheureux Chant des Girondins qui, pendant deux années,