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que la mienne ! N’importe ce qui m’est réservé, mon ame ne m’abandonnera pas. On est toujours fort, on est toujours fier, quand on est honnête… Pourtant, quand je songe à mes pauvres enfans, tout mon corps frissonne ; je les aime trop, ils ont si grand besoin de moi ! »

L’idée d’une fin prochaine semble percer dans ces dernières paroles, et bientôt elle se retrouve dans toutes les lettres de M. de Favras. C’est que, vers la fin de janvier, le procès était entré dans une phase nouvelle. On avait promis à la multitude une victime, et elle la voulait. Le revirement d’opinion de quelques journaux d’abord très hostiles à Favras, l’incertitude des témoignages, l’hésitation présumée des juges, exaspéraient la foule, qui se réunit bientôt furieuse et menaçante autour du Châtelet. Il lui fallait son spectacle, et elle le demandait le poignard à la main. On venait d’acquitter M. de Besenval, mis en jugement à propos de la défense de la Bastille et dans des circonstances assez analogues. Tous les aristocrates pourraient donc conspirer impunément contre le peuple ! disait-on ; la justice était donc partiale pour les nobles ! Cela ne pouvait continuer ainsi, et, si Favras n’était pas condamné, le peuple jugerait ses juges ! Telles étaient les clameurs odieuses qui retentissaient tout le jour autour du Châtelet. Des lettres anonymes pleines de menaces étaient adressées à tout instant aux membres du tribunal ; ce devint bientôt une émeute permanente et redoutable. Dans la nuit du 26 janvier, il y eut une vive alerte autour de la prison ; on put croire à une tentative d’assaut, à un projet d’enlever M. de Favras de vive force. Cette évidente pression que la fureur démagogique voulait exercer sur les juges, ce levier de la terreur que la populace commençait à mettre en mouvement, eurent sur l’issue du procès une influence malheureusement incontestable. M. de Lafayette lui-même n’en disconvient pas ; seulement, qui le croira ? il a la naïveté d’attribuer ces mouvemens aux complices de M. de Favras, aux amis de la cour, qui étaient, dit-il, impatiens de voir périr le dépositaire de leurs secrets[1]. En vérité, c’est pousser un peu loin le souci d’excuser les passions révolutionnaires. Quel intérêt si grand avaient donc les amis du roi à précipiter la mort du marquis de Favras ! S’il connaissait leurs secrets, et s’il voulait les révéler, n’avait-il pas le temps de le faire durant les deux longs mois que les débats durèrent ? Non ; ceux qui demandaient la tête de l’accusé, ceux qui tentaient d’intimider les juges, c’étaient bien plutôt les Morel et les Tourcaty, ces délateurs et ces espions tant zélés, c’étaient surtout ces misérables qui apparaissent au lendemain des révolutions, comme les reptiles après les orages, ces bandits à qui le massacre de MM. Delaunay et Flesselles avait donné

  1. Mémoires de Lafayette, vol. II, p. 394.