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sable d’or qu’il employait. Il écrivait : « Tout est disposé pour conclure aujourd’hui ; dans ce cas, M. Chomel, sur l’avis de ces messieurs, pourra y procéder. Si on y trouve quelque empêchement, il devient inutile de s’occuper davantage de l’emprunt en question. »

Ainsi donc une objection de plus, et M. de Favras renonçait à cette affaire si péniblement poursuivie. Enfin il ne croyait pas devoir signer sa lettre, ce qu’il n’eût pas manqué de faire sans doute, si l’emprunt eût été une négociation aussi simple que Monsieur le disait, et que Favras lui-même l’a prétendu. Maintenant qu’arriva-t-il dans cette journée où le marquis de Favras perdit pour toujours sa liberté. La déposition de M. de La Ferté va nous l’apprendre. « M. le marquis de Favras, déclare-t-il, se rendit le 24 sur les six heures du soir chez moi, et me présenta M. Chomel. Je lui fis voir l’acceptation de la soumission. M. Chomel, trouvant l’affaire en règle, me pria de lui donner quelqu’un pour l’accompagner et faire mettre dans son fiacre 40,000 fr. en espèces, qu’il disait être tout prêts chez M. Sertorius, autre banquier à moi inconnu, le surplus devant être payé en billets de la caisse d’escompte. Je crus devoir faire quelques représentations sur ce que la nuit il pouvait y avoir quelques dangers à transporter dans un fiacre une somme aussi considérable en espèces ; mais, M. Chomel ayant témoigné le désir que l’affaire se terminât le soir même (il avait pour cela de bonnes raisons, comme on va voir), je fis descendre le caissier du trésor de Monsieur, on fit avancer une voiture, et ces messieurs partirent ensemble. M. le marquis de Favras les attendit dans mon cabinet, et, l’avant prié de me permettre d’écrire plusieurs lettres qui devaient partir le même soir, il voulut bien y consentir, et se mit à lire les papiers publics et journaux qui se trouvaient sur ma cheminée. M. de Chedeville (le caissier) revint seul et nous apprit que le premier paiement n’avait pu se terminer le soir, M. Sertorius lui ayant dit qu’ayant été prévenu trop tard, son caissier n’y était plus… M. de Favras se retira en me faisant l’honneur de me dire qu’il reviendrait voir l’affaire se terminer le lendemain, s’il pouvait[1]. »

Cinq minutes plus tard, on arrêtait M. de Favras ; M. Chomel n’avait eu garde de reparaître le soir. Le tour était joué ; on avait habilement laissé l’affaire se consommer, et le comité des recherches tenait sa proie ; ses agens attendaient depuis l’entrée de la nuit, à la porte même de M. de La Ferté, la sortie du marquis de Favras. L’espion Joffroy les conduisait ; il s’était blotti dans la loge du suisse, ainsi qu’il le raconte lui-même[2]. Les officiers d’état-major qui devaient lui prêter main-forte étaient cachés dans des voitures. Lorsque, à neuf heures moins un

  1. Déposition de M. de La Ferté (Archives de la préfecture de police.)
  2. Déposition de Casimir Joffroy (Archives de la préfecture.)