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obscur les proportions d’une conspiration véritable, répondaient trop bien aux secrets désirs du comité, ils justifiaient trop à point par la nécessité ses moyens d’action et ses scrupules, pour qu’il ne s’empressât pas d’exciter le zèle de ceux qui les apportaient. Morel et Tourcaty furent donc encouragés à diverses reprises, ceci est incontestable. On fit plus que de les encourager, on leur insinua, et ils comprirent qu’il fallait livrer mieux que des soupçons, qu’il fallait surprendre et saisir en flagrant délit la conspiration et le conspirateur. La remise d’une brochure ne constituait pas un corps de délit suffisant ; il importait que M. de Favras se compromît plus gravement ; un piège pouvait aisément lui être tendu ; ils le lui tendirent aussitôt.

Morel et Tourcaty commencèrent par abonder dans le sens du marquis de Favras ; ils se montrèrent plus épouvantés qu’il ne l’était lui-même du sens que prenaient les agitations du faubourg Saint-Antoine ; ils lui firent chaque jour les rapports les plus alarmans. L’important selon eux, c’était de mettre le roi à l’abri d’un coup de main, et rien, à les entendre, n’était plus facile. Ayant des relations journalières avec les soldats de fortune, ils pouvaient mieux que personne recruter cette phalange secrète dont M. de Favras avait eu l’idée, et qui, au jour du danger seulement, devait se montrer tout à coup, tenir tête au premier orage et former le noyau d’une armée de résistance à laquelle, le cas échéant, se rallieraient les royalistes de toute la France ; mais, pour mener à bien ces enrôlemens mystérieux, il fallait avant tout de l’argent. Morel et Tourcaty n’ignoraient pas les relations du marquis de Favras avec M. de La Châtre ; ils savaient que, par son entremise, il avait obtenu de M. le comte de Provence une pension pour son fils. Ils insinuèrent habilement que, pour réaliser un emprunt dont la pensée n’avait rien que d’honorable et dont le résultat pouvait être si important, le comte de Provence ne refuserait sans doute pas un consentement tacite et l’offre de son crédit. Ils connaissaient un banquier qui prêterait volontiers une somme de 2 millions, s’il le fallait, sur une simple assurance des gens d’affaires de Monsieur. Excité par ces deux hommes dont il ne connaissait pas la fourberie et par l’espoir d’une réussite presque certaine, M. de Favras consentit à se laisser conduire par Morel chez M. Pomaret, banquier de Lyon, qui se trouvait alors à Paris. Il n’avait pas encore d’intention bien arrêtée. Il voulait s’assurer uniquement de la possibilité d’un emprunt et connaître les conditions du banquier avant de mêler, même indirectement, le comte de Provence à cette affaire. M. Pomaret, qui s’est montré dans le procès un homme très loyal et très honnête, offrit en effet de trouver une somme de 2 millions, pourvu que l’on offrît des sûretés convenables aux prêteurs. M. de Favras, dans une seconde visite, parla vaguement de délégations qui pourraient être fournies par un personnage très considérable