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violence le Charles IX de Joseph Chénier, cette pâle et ennuyeuse tragédie qu’il détestait particulièrement. Il est surprenant que les juges ne s’en soient pas doutés, et que pas une question n’ait été posée à cet égard dans les interrogatoires. Morel seul parut en avoir quelque soupçon. Il dit dans sa déposition : « Quand le marquis de Favras me remit cette brochure, je lui demandai s’il en était l’auteur ; il me répondit en riant que non, et qu’on l’attribuait à M. de Biron. »Toujours est-il que M. de Favras avait donné le libelle à Marquier en présence de Morel ; ce fait, qui devait être plus tard le motif de son arrestation, inspira dès le jour même à cet homme et à son acolyte Tourcaty une infernale machination.

Joseph Chénier était de mauvaise foi, ou il ne savait pas ce qu’il disait lorsque, dans la préface de Charles IX, il parlait, avec son emphase habituelle, de la vertu de son temps, qui avait eu raison « du fanatisme et de la Bastille, » et de « la pureté des mœurs publiques, qui ne se modelaient plus sur les mœurs dépravées des cours. » A aucune époque du monde, au contraire, la dépravation des mœurs et l’immoralité politique n’ont été poussées plus loin qu’en ces jours où M. de Sade publiait ses œuvres et où le comité des recherches, nouvelle chambre ardente, payait ouvertement, au prix de 24,000 francs par dénonciation, les agens provocateurs qu’il employait. Une infinité de preuves pourraient être invoquées à l’appui de ce dernier fait ; mais le procès du marquis de Favras suffit pour établir, sans contestation possible, qu’à dater du 21 octobre, le comité des recherches promit une somme de mille louis à quiconque dénoncerait un ennemi de la révolution. C’était une prime d’encouragement accordée à la fourberie et à l’imposture sous le prétexte du patriotisme. Morel et Tourcaty, racoleurs sans ressources, n’étaient pas hommes à résister à un tel appât. Ils avaient entre les mains une victime, il ne s’agissait que d’en tirer parti. Pour commencer, ils se mirent en relation avec le comité des recherches, lui dévoilèrent, en les présentant sous un jour odieux, les menées secrètes du marquis de Favras ; ils parlèrent de ses rapports avec Marquier ; ils confondirent habilement les plans qu’il avait formés autrefois pour la Hollande, et dont ils avaient été les instrumens eux-mêmes, avec ses projets actuels ; les chevaux qu’il avait demandés à Versailles, le 6 octobre, à M. de Saint-Priest, pour dissiper les hordes parisiennes, ils les convertirent en une tentative d’enrôlement pour commencer la guerre civile en France. Le comité des recherches fut frappé de ces renseignemens, qui concordaient à merveille, en ce qui touchait les conversations du marquis de Favras et de Marquier, avec les rapports de l’espion Joffroy, qui avait été, comme on sait, témoin des conférences de la Place-Royale. En outre, ces documens nouveaux, qui donnaient aux fantaisies peu dangereuses d’un contre-révolutionnaire