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populaires. On sentait gronder partout, en France, le volcan souterrain qui devait bientôt faire irruption ; le 6 octobre était passé, mais le 10 août était dans l’air. M. de Favras dirigeait souvent ses promenades vers le faubourg Saint-Antoine, qui était le principal foyer de la démagogie. Il se mêlait aux rassemblemens et écoutait avec stupeur les menaces qu’on y proférait. Un jour, dans un de ces groupes, il entendit un orateur aux bras nus exposer avec un tel luxe de détails, avec une si stratégique précision, un plan d’attaque contre les Tuileries, qu’il en fut épouvanté. Il crut devoir en aller faire part sur-le-champ, afin qu’on avisât, à M. de Luxembourg, qui remplissait alors auprès du roi les fonctions de capitaine des gardes. M. de Luxembourg connaissait un peu le marquis de Favras ; il avait entendu parler de sa démarche auprès de M. de Saint-Priest, à Versailles. Sa persévérance et son dévouement le touchèrent, son intelligence le frappa ; il l’écouta très attentivement, le remercia de l’attachement qu’il montrait à la famille royale, lui avoua qu’il pensait, comme lui, que le péril était imminent, si les hommes de cœur ne se jetaient pas à la traverse. Il le pria ensuite, puisqu’il était voisin du quartier Saint-Antoine, de continuer à observer tous les mouvemens de ce faubourg, l’assurant que les rapports qu’il pourrait faire seraient infiniment précieux. Il ajoutait que, le sachant peu riche, il lui demanderait la permission de mettre à sa disposition les fonds qui pourraient lui être nécessaires pour rendre cette surveillance suffisamment active. À cette proposition, M. de Favras rougit de déplaisir. M. de Luxembourg lui adressa des excuses, lui dit que sa délicatesse lui était connue, mais que cet argent il pourrait l’accepter hautement, et qu’il lui serait remis en un lieu propre à lever tous ses scrupules. Il l’engageait en même temps à se rendre le soir même au cabinet du roi. M. de Favras y vint ; M. de Luxembourg, qu’il y trouva, lui remit cent louis, lui faisant comprendre que c’était de la part du roi, et le ramena dans son cabriolet jusqu’à la rue Vivienne, l’entretenant, comme le matin, des dangers que courait la famille royale. Selon lui, la meilleure sauvegarde qu’on pût imaginer eût été de trouver dans la garde nationale, ou parmi les anciens gardes françaises, une compagnie de braves gens résolus, prêts à se rendre aux Tuileries au premier signal, et à s’y faire tuer, s’il le fallait, devant la porte du roi, comme plusieurs avaient fait à Versailles.

Resté seul, le marquis de Favras sentit l’idée qui venait de lui être communiquée s’enflammer dans son cerveau. Il refondit, il compléta dans son imagination le plan d’une héroïque résistance ; il se vit à l’avance le sauveur de la famille royale ; il se crut cette fois destiné à jouer le rôle qu’il avait inutilement réclamé dans la nuit du 5 octobre. Une troupe de braves soldats prêts à tout, c’était une grande ressource en effet ; mais où les trouver ? Ce lieutenant de grenadiers nommé Marquier,