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instances de M. de Favras, il consentit à transmettre la demande qui lui était faite à Louis XVI, qui venait de rentrer, et il passa dans son cabinet. Il revint une heure après. La cour avait appris, disait-il, que M. de Lafayette et plusieurs bataillons de la garde nationale se trouvaient avec le peuple de Paris. Il n’y avait donc qu’à attendre. — Attendre ! s’écria M. de Favras ; mais c’est une honte, et le château sera envahi dans deux heures par ces brigands !

Le comte de Saint-Priest ne répondit rien.

— En un mot, vous ne voulez rien faire, dit encore M. de Favras.

— Non, monsieur, répliqua le ministre.

Le marquis de Favras s’inclina et sortit désespéré. Cette conversation, que je transcris textuellement d’après la déposition de M. de Saint-Priest lui-même, dont j’ai sous les yeux l’original signé et paraphé par lui, prouve que, le 5 octobre, M. de Favras eut le premier à Versailles l’idée de la résistance. Les conseils énergiques et même les hommes d’action n’ont jamais manqué aux gouvernemens dans les momens de crise, ce sont les gouvernemens qui ont toujours fait défaut à leurs plus fermes amis, et ne leur ont laissé que la liberté et l’honneur de mourir inutilement pour eux. À de pareilles heures, on ne se met pas impunément en scène, et l’on ne se mêle pas à de telles parties sans y risquer sa tête. En un coup de dé, on conquiert la gloire ou l’on perd la vie, c’est le hasard qui décide. Écouté par le comte de Saint-Priest, M. de Favras pouvait réussir et devenir en un instant un de ces héros que l’histoire déifie ; éconduit par le ministre, il crut peut-être rentrer dans son obscurité, mais il se trompait. Il était pour toujours sorti de l’ombre ; la révolution l’avait inscrit déjà parmi ses victimes, et cette démarche honorable fut, sous la royauté même, son premier pas vers l’échafaud.

Dans la nuit du 5 au 6 octobre, vers minuit, la proposition qu’avait faite M. de Favras de disperser, à l’aide de quelques centaines de chevaux, la horde venue de Paris, fut reprise, s’il faut en croire Bertrand de Malleville, par d’autres gentilshommes. Ils s’adressèrent à la reine, qui signa l’ordre de mettre à la disposition de M. de Luxembourg deux cents chevaux, à la condition toutefois qu’ils ne seraient employés que dans le cas où il y aurait danger pour les jours du roi, et la reine déclarait formellement que, s’il n’y avait péril que pour elle, on ne se servirait de son ordre sous aucun prétexte. Il n’en fut fait aucun usage ; il était déjà trop tard. La manifestation triomphait partout. Les soldats du régiment de Flandre faisaient sonner leurs baguettes dans leurs fusils pour montrer qu’ils n’étaient point chargés ; la milice de Versailles avait braqué ses canons entre l’hôtel des gardes-du-corps et le château. Suivant l’usage constant des milices bourgeoises, elle s’interposait entre la révolte et l’autorité. Maillard et sa bande avinée s’étaient