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sacrés et revêtus d’un caractère divin, qui remplissaient tous les cœurs d’une crainte religieuse et d’un respectueux amour. Puis vinrent les barons féodaux, qui forcèrent les prêtres à partager le pouvoir avec eux, chefs et guides visibles, trop sensiblement visibles peut-être, vivant au milieu des populations, juges et magistrats d’accusés dont ils étaient les voisins et généraux d’armées dont ils étaient les possesseurs. Le XVIe siècle arriva, et tout changea de face. Au milieu des convulsions des états et du déchirement de l’église, des chefs étranges apparurent : c’étaient d’une part des hommes qui n’avaient aucun des signes matériels de la puissance ; ils répondaient à tous ceux qui leur demandaient compte de leurs prétentions en leur montrant le spectacle de la corruption universelle ; et ils s’appuyaient, pour prouver leur droit, sur la sincérité de leur fanatisme, sur l’ardeur de leurs croyances, sur la force de leur caractère étaient les Luther, les Calvin, les Zwingle, les Knox ; d’autre part, mais pour un temps plus court et avec une moindre influence, vinrent des chefs d’armées et de bandes, serviteurs militans des réformateurs, ou des hommes qui s’attachant encore aux institutions en débris, tenaient la place des maîtres, anciens éclipsés, disparus ou trop faibles. Enfin, de notre temps, trois classes d’hommes gouvernent et résument indirectement les populations : les chefs de l’industrie, les avocats ou gens de loi, les hommes de lettres. Quel chemin l’humanité a parcouru depuis les jours où vivaient le trouvère Rutebœuf, le légiste Enguerrand de Marigny et le banquier Jacques Coeur !

Ces tirais classes d’hommes sont sorties du creuset du XVIIIe siècle et sont pour ainsi dire nées de l’analyse ; les légistes sont sortis de l’analyse et de la dissolution des institutions politiques ; les chefs de l’industrie, de l’analyse mathématique et scientifique ; les hommes de lettres, de l’analyse et de la critique des anciennes croyances, des anciennes superstitions et des anciennes vertus. Aujourd’hui, ces trois classes d’hommes gouvernent sans contrôle, souvent en guerre, mais indissolublement unies entre elles par les liens d’une commune origine. Le caractère sacré du pouvoir temporel et le caractère divin du pouvoir spirituel et moral sont allés s’effaçant toujours davantage et se démocratisant de plus en plus. Ce n’est pas en effet dans la prépondérance des masses, dans le suffrage universel, ni même dans les institutions, que consiste, à proprement parler, la démocratie de notre temps, mais bien plutôt dans le choix et dans le caractère particulier de ses guides ; c’est là un fait qui n’a jamais été assez remarqué. Le temps a donc de plus en plus dépouillé le pouvoir de ses attributs sacrés pour le rendre de plus en plus humain, afin (il faut l’espérer du moins) de faire comprendre à l’homme que ce n’est plus par des signes extérieurs et matériels,