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L’aspect extérieur de Lima n’a guère plus changé depuis le temps des vice-rois que l’esprit de ses habitans. La capitale du Pérou est restée une des plus bizarres cités du Nouveau-Monde. Représentez-vous une sorte de jeu d’échiquier dont chaque case, séparée des autres par une rue droite, serait formée d’un groupe de maisons larges et basses au toit en terrasse ; jetez au milieu de tout cela soixante églises aux tours bariolées de couleurs éclatantes ; puis encadrez cet ensemble pittoresque de vastes jardins, limités d’un côté par la mer, de l’autre par les plateaux sablonneux qui s’élèvent en gradins jusqu’aux nevaos des Cordillères : vous aurez une idée du grand spectacle qu’on découvre du faut de la cathédrale de Lima. Puis, si vous descendez dans les rues animées de la cité péruvienne, si vous les parcourez surtout un jour de fête ou de cérémonie publique, vous arriverez sans peine à saisir dans la physionomie de cette population aimable et joyeuse les traits distincts qui font de Lima la plus charmante ville du Pérou.

Ce plaisir qu’on éprouve à découvrir l’originalité naissante d’un peuple qui se forme à la vie politique, j’eus plus d’une fois l’occasion de le goûter à Lima. Toujours cependant les souvenirs du passé revenaient malgré moi se mêler dans mon esprit aux impressions du présent. À vrai dire, il y a des époques, il y a des jours exceptionnels où Lima se retrouve presque tout entière telle qu’on la pouvait voir au temps des vice-rois. Le jour des Morts, par exemple, toute préoccupation politique s’efface devant les grandes et tristes pensées qu’éveille cette solennité religieuse. C’est au cimetière alors que se porte et qu’il faut chercher la population de Lima. Le principal cimetière de cette ville, le Panthéon, rappelle cependant une victoire assez péniblement remportée par les idées philosophiques de l’Europe du XVIIIe siècle sur les croyances religieuses de l’Espagne du XVIe. L’usage d’enterrer dans les églises s’était long-temps maintenu au Pérou. C’était là une prérogative des couvens, une source féconde de présens et de donations. Il ne fallut rien moins que la courageuse initiative d’un vice-roi pour faire disparaître cet usage, qui, dans un climat peu favorable à la conservation des corps, avait de fâcheuses conséquences pour la santé publique. C’est le vice-roi Abascal qui fit construire hors de Lima le vaste cimetière décoré du nom de Panthéon. Les moines et les confréries résistèrent ; on cria au scandale, à l’athéisme ; rien n’y fit. Les pierres des caveaux furent scellées à jamais, et les moines acquirent la douloureuse certitude qu’ils seraient après leur mort portés eux-mêmes, par ordre du vice-roi, à l’odieux Panthéon.

Les murs de ce cimetière embrassent un vaste emplacement carré, divisé en compartimens de largeurs différentes. Les couvens de Lima, les confréries, les diverses corporations, les avocats, juges ou médecins, ont des sépultures réservées. Les murs de séparation sont larges