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de la rivière Yanatili, qui vient du sud. À soixante lieues de Chawaris se terminent ces gradins de montagnes qui montent, comme un escalier de géans, jusqu’aux nevaos des Andes. Là commence la pampa de Sacramento (la plaine du Saint-Sacrement), qui s’étend jusqu’au grand Para sur une longueur de huit cents lieues. À deux cents lieues de Chawaris, la rivière Santa-Anna, grossie par les nombreux torrens et les larges ruisseaux qui viennent s’y jeter, se réunit à l’Apurimac, et prend le nom de Yucayali. L’Yucayali court au nord-est sur un espace de quatre cents lieues, au milieu de la pampa du Sacramento, et alors se joint au Marañon, qui sort du lac du Serro de Pasco.

Nous trouvâmes à Chawaris une large cabane de roseaux et des champs de maïs et de coca en plein rapport. Don Simon le propriétaire de ce terrain, qui n’appartient plus aux domaines de la république péruvienne, était un métis tenant le milieu entre le sauvage et l’Indien non civilisé. Il ne payait aucun impôt et n’était soumis à aucune autorité. Il avait pris pour compagne une des anciennes femmes de Tadeo. La dame, ainsi que ses enfans, se peignait la figure de rouge et de noir, et portait sur la tête le petit sac des Antis. Le logis de don Simon me parut infiniment plus comfortable que la plus riche des habitations indiennes de la sierra dans lesquelles j’étais entré. Il y avait dans tous les coins des amas d’épis de maïs et de racines de yuca, qui attestaient la richesse du sol et la facile existence du Crusoé péruvien.

Un acte de violence commis par un homme de mon escorte faillit faire échouer mes projets de visite au hameau de Tadeo. Voyant courir des poules, cet homme en avait conclu qu’il devait y avoir des œufs, et il avait offert à un métis de lui en acheter quelques-uns pour mon dîner ; mais le métis jurait par le Christ que ses poules ne pondaient plus depuis quinze jours. Mon homme, en rôdant dans le taillis qui entourait la maison, vit un poulailler abondamment garni d’œufs ; comme la porte en était fermée, il en coupa les attaches et revint au logis, apportant dans son poncho une douzaine d’œufs que je payai à l’instant dix fois leur valeur. Le métis parut mécontent de la liberté grande, et se mit à parler aux sauvages dans leur dialecte antis que pas un de nous n’entendait ; seulement leurs regards et leurs gestes indiquaient clairement que nous faisions le sujet de l’entretien, qui était devenu fort animé. Les avertissemens du père Raimond me revinrent alors à l’esprit ; j’avoue que, la nuit venue, je me couchai avec quelque anxiété ; eus soin de placer mes pistolets sous la selle qui me servait d’oreiller. Précaution inutile, car je dormis d’un long somme jusqu’au lendemain bien avant dans la matinée. Les sauvages avaient disparu. Le métis nous dit que la troupe était partie de grand matin, et que Tadeo l’avait chargé pour nous des paroles suivantes : « Dites aux blancs que,