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propriété comprenait trente lieues de pays, des nevaos de Soraï à la vallée de Santa-Anna. L’hacendero de Guatquinia était peut-être le seul propriétaire du monde entier qui possédât sur sa terre fous les produits des quatre parties du globe. Dans les différentes régions de ses domaines, il avait les laines, les cuirs, le crin, les pommes de terre, le blé, le maïs, le sucre, le café, le chocolat, la coca, sorte de thé, plusieurs mines de plomb argentifère et des lavaderos d’or : le tout rapporte 3 000 piastres par année, c’est-à-dire 15 000 fr. Cette hacienda avait appartenu aux jésuites, et les parens du nouveau propriétaire l’avaient achetée après l’expulsion de la compagnie ; ils ne savaient pas plus ce qu’ils achetaient que le gouvernement ne connaissait l’étendue de terrain qu’il allait aliéner. Deux élémens essentiels de fortune manquent dans cette terre : la population et les débouchés. Toutes les deux ou trois lieues, on rencontre une cabane d’indiens ou une maison de métis au milieu d’un champ de maïs ou de pommes de terre ; les habitans sont des locataires qui paient annuellement 12 ou 15 piastres pour affermer autant de terrain qu’ils en peuvent cultiver, et c’est encore là le revenu le plus net de l’hacienda.

Les jésuites cultivaient à Guatquinia la canne à sucre et l’arbre qui produit la coca. Les propriétaires qui leur ont succédé n’ont rien changé au système de culture ; seulement, au lieu de deux cents Indiens que nécessitait cette double exploitation, c’est à peine si l’hacienda en compte quarante. Le prix de la main-d’œuvre est extrêmement élevé, 4 réaux par jour (52 sous), et les propriétaires ne peuvent s’en tirer qu’en tenant un magasin qu’ils ont soin de fournir de tout ce qui est nécessaire à l’Indien : étoffes, quincaillerie, eau-de-vie, etc. L’indien prend à crédit ses marchandises, dont on prélève la valeur sur ses journées de travail, et dans ce marché le vendeur gagne 100 pour 100. La canne à sucre se cultive comme dans toutes les colonies : elle est récoltée tous les dix-huit mois, portée à un moulin dont les roues cylindriques l’écrasent et en expriment tout le suc ; ce suc est versé dans de larges chaudières, où il cuit un certain nombre d’heures ; puis, quand il est refroidi et à l’état de sirop, on le met dans des moules coniques remplis d’une couche épaisse de terre glaise, à travers laquelle filtre la mélasse. Quand la mélasse est entièrement égouttée, on dégage le sucre, qui se trouve alors en cassonnade ; puis viennent les procédés de clarification pour le sucre consommé dans le pays.

La coca est un arbuste naturel des vallées du Pérou. La feuille en est séchée au soleil et tient lieu aux gens de race indienne de tabac en chique. Ils y ajoutent un petit morceau d’une terre blanchâtre d’un goût acide, qu’ils appellent manubi. On fait par an trois récoltes de coca. L’arbuste atteint la hauteur de quatre à cinq pieds, la fleur est jaunâtre, et la graine enfermée dans une pulpe épaisse comme la graine