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sans avoir visité une sorte d’Herculanum péruvien sur lequel j’avais recueilli, chemin faisant, les récits les plus étranges : la ville antique de Choquiquirao, à peu près perdue dans les âpres solitudes de la sierra qui porte son nom. Le curé du village de Curaguassi était un antiquaire : il me parla de ces ruines d’un ton mystérieux bien fait pour redoubler ma curiosité. Je n’y tins plus, et, au lieu de me diriger vers Lima, je pris le chemin de la haute Cordillère, d’où je devais gagner les gorges où se cachent, sur les bords de l’Apurimac, les monumens de Choquiquirao. Le curé antiquaire me donna tire lettre pour le maître de poste de Mollepata, village où je devais m’écarter de la grande route de Lima pour gagner les Andes. Une fois en marche verse Choquiquirao, il s’agissait d’abord de franchir les Cordillères, au-delà desquelles l’hacienda de Guatquinia devait terminer ma première étape. C’est dans cette hacienda que je comptais faire les derniers préparatifs d’une excursion qui n’était pas sans périls, et qui exigeait le concours de quinze travailleurs indiens, dirigés par un guide expérimenté. De Guatquinia jusqu’aux ruines de Choquiquirao, nous n’allions plus rencontrer d’autre abri que la voûte des bois, d’autre lieu de repos que le bord des torrens.

À celui qui voudrait, en quelques heures, admirer la nature américaine dans tous ses contrastes et dans toutes ses magnificences, je conseillerais de franchir les Cordillères entre Mollepata et Guatquinia. De Mollepata à Soraï, hutte de bergers indiens, le chemin va en montant jusqu’aux hauts pâturages qui marquent sur ce point les dernières limites de la végétation. Au-delà de ces pâturages, où errent des troupeaux de moutons et de lamas, commencent les glaciers de la grande chaîne des Cordillères. Glaciers n’est peut-être pas le mot propre ; le mot par lequel on désigne ces pics couverts de neige, nevaos, n’a pas d’équivalent en français. Ce sont des réservoirs de neige ; chose singulière, sur ces montagnes plus hautes que les Alpes, il ne se forme pas de véritables glaciers. On bivouaque à Soraï au milieu des poules, des puces et des petits cochons d’Inde, couis, pensionnaires obligés et chéris de toute cabane d’indiens : je laisse à penser avec quelle joie on se remet en route le lendemain dès le point du jour. À l’heure où l’on quitte cette station, le brouillard qui couvre les pics neigeux commence à se dissiper, et l’on peut jouir du grand spectacle que présentent les nevaos. Deux de ces nevaos, le Salcantay et le Soraï, resserrent la route qu’on suit et qui va s’élevant encore jusqu’au versant, d’où l’on doit redescendre vers les plaines de l’est. Au bout d’une heure de marche, on a laissé derrière soi les derniers pâturages ; on est dans la région des pierres, et le sol disparaît presque sous les blocs de granit rose que les éboulemens y ont accumulés. La montée devient de plus en plus rapide, et bientôt de la région des pierres on passe à la