Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 10.djvu/1011

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des missions se remplit de curieux avides de pénétrer dans l’enceinte au milieu de laquelle est bâti le temple chrétien. Dans ce préau sont représentées toutes les scènes de la passion, non pas en tableaux, — la peinture ne parlerait pas assez aux yeux de ces peuples naïfs, — mais au moyen de personnages sculptés, de grandeur naturelle, disposés par groupes dans une douzaine de cabanes qui leur servent d’encadrement. Il faut voir avec quelle curiosité, avec quel intérêt même les Hindous considèrent et étudient ces illustrations du grand drame chrétien. Ici des musulmans, reconnaissables à la calotte de coton blanc qui surmonte leur tête rasée, à la barbe pointue qui pend à leur menton, expliquent à haute voix l’histoire de Aïssa (Jésus) et de bibi Mariam (Mme  Marie). Nous sommes à leurs yeux des infidèles que Dieu a frappés d’aveuglement pour avoir rejeté le Coran et refusé de reconnaître Mahomet, mais ils savent nos livres saints. Derrière eux, et comme au second plan, se tiennent les Hindous païens : ceux-là ne comprennent pas grand’chose aux mystères de notre culte ; cependant ces douces images, empreintes d’onction et toutes marquées au sceau de la douleur, les touchent et les attirent. Les femmes les regardent avec émotion, les pères les montrent du doigt à leurs enfans, qu’ils élèvent dans leurs bras au-dessus de la foule. Çà et là des groupes plus sérieux s’arrêtent, s’inclinent et prient ; ce sont les néophytes, les indigènes baptisés et chrétiens. Émus, attendris, ils conservent, au milieu de l’agitation qui les entoure, une attitude recueillie. L’après-midi tout entière se passe dans ces promenades, dans la contemplation des figures dressées autour de l’enceinte de l’église. Le soir arrive ; la population de Pondichéry se presse en masse aux portes des missions ; la place est remplie de lumières. C’est un murmure confus de voix, une ondulation immense de têtes noires, de fronts ceints de turbans rouges ou blancs. À la clarté des feux allumés par les marchands de gâteaux qui font leur cuisine en plein vent, étincellent les anneaux suspendus aux nez des femmes, les larges boucles qui oscillent à toutes les oreilles. Les mendians, les paralytiques et les lépreux, qui se traînent à genoux dans la poussière et s’appuient contre le tronc des arbres, poussent des gémissemens lamentables, les uns demandent l’aumône au nom d’Allah, les autres chantent des stances chrétiennes en langue tamoul ou télinga. Peu à peu ces flots de peuple entrent dans le préau de l’église ; là tout est illuminé, la cour, les loges qui contiennent les images, les arbres, tout, excepté l’église, dont les grandes portes ouvertes permettent à peine de distinguer les voûtes pleines de ténèbres. Que veut cette multitude ? pourquoi cet empressement autour du sanctuaire habité par des prêtres étrangers ? Il s’agit d’entendre prêcher une passion, là, au grand air, non pas entre quatre murs, comme dans nos froids