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ne vous y fiez pas trop. Un jour d’élection, Montréal s’agite et prend un aspect menaçant. En voici une preuve que nous tirons du récit de sir J. Alexander. — En 184… deux candidats se trouvaient en présence, l’un conservateur, l’autre radical. Les partisans de celui-ci, pour assurer leur triomphe, amenèrent dans la ville une troupe d’Irlandais qui demeuraient aux environs. Ces Irlandais, ouvriers employés aux canaux, n’avaient point de votes à déposer dans l’urne, mais qu’importe ? on leur réservait un autre rôle. Ils furent chargés d’occuper la place publique de manière à empêcher les votans du parti opposé d’approcher de la loge où se recueillent les bulletins. Le maire, le président du bureau et les officiers de police ne pouvaient en aucune manière assurer la liberté de l’élection ; la masse compacte des tapageurs ne laissait pas le plus petit jour qui livrât passage aux amis du candidat conservateur. Si quelque électeur modéré s’aventurait dans ce guêpier, un cri de a ring (un cercle !) se faisait entendre, et le malheureux, ballotté de main en main, voyait aussitôt ses habits mis en pièces ; sa peau même portait les marques des poings irlandais. Quand les conservateurs eurent été dûment rossés et foulés aux pieds, la force armée reçut l’ordre d’avancer. Ce fut le signal d’un désordre effroyable qui dura deux jours entiers. Les troupes occupèrent à leur tour la place où se faisait l’élection ; mais les Irlandais pressaient les soldats du coude et du genou, et le bruit recommençait déjà, quand une charge à la baïonnette dispersa les agitateurs. Quelques-uns d’entre eux furent blessés, il y en eut un qui resta mort sur le coup, et bref, le candidat radical l’emporta ! — N’est-ce pas là une émeute en règle ? Il n’y manque rien, ni la patience de l’autorité qui donne trente-six heures aux turbulens pour s’apaiser, ni la persévérance de ceux-ci à envenimer la querelle, ni la brutalité et la violence des moyens employés par les amis du progrès pour faire triompher la cause de la liberté. Ces scènes de désordre se sont plus d’une fois renouvelées. En 1849, elles ont pris un caractère plus grave, et le gouvernement britannique s’aperçoit aujourd’hui que les concessions faites par lui, en 1840, aux colons canadiens n’ont point calmé l’esprit d’insubordination.

Montréal renferme une foule d’édifices religieux, civils et militaires, des couvens, des séminaires, des universités et des écoles ; ses environs, qui offrent des points de vue moins saisissans que ceux de Québec, sont plus riches et mieux cultivés. Au-dessus de la ville s’élève la Montagne. On appelle ainsi une colline qui n’est guère plus élevée que les buttes de Montmartre, et dont les flancs, couverts de maisons de campagne, de bosquets et de vergers, produisent les plus beaux fruits du Canada ; on y cueille des cerises, des pommes d’une qualité supérieure, des abricots et des pêches. Du haut de cette montagne, où se trouve un lac abondant en poissons, on voit se dérouler à ses pieds la ville entière, puis le fleuve avec ses îles, et au-delà du fleuve la florissante