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idéale d’un fait de la vie, qu’il avait soin de recommander à ses éditeurs de conserver à toutes ses œuvres les qualifications esthétiques qu’il leur avait données. « Ma musique, disait-il souvent, doit s’interpréter avec le cœur et non pas avec le métronome. Il faut la sentir et la déclamer comme un morceau de poésie, et non pas la jouer avec de simples doigts. Que celui qui ne sait pas comprendre ce que veulent dire ces mots : les adieux, l’l’absence et le retour, ne s’attaque jamais à la sonate opera 81 ! Quel est le véritable artiste qui ne devinera pas que le largo de la troisième sonate en ré mineur est le rêve d’une ame mélancolique que rien ne fixe et ne satisfait, qui se débat au milieu d’ombres insaisissables qui l’enveloppent et la troublent ! Voulez-vous connaître l’idée fondamentale des deux sonates opera 27 et 29 ? lisez la Tempête de Shakspeare. »

Tous les biographes de Beethoven ont divisé son œuvre en trois grandes catégories qui correspondent à trois époques différentes de la vie de ce grand homme. Pendant la première période, qui s’étend depuis 1790 jusqu’en 1800, il imite, avec plus ou moins d’indépendance, les maîtres qui l’ont précédé et surtout Mozart, dont il a eu de la peine à repousser la dolce maestà. Dans la seconde phase, qui commence avec le siècle et se prolonge jusqu’en 1816, Beethoven déchire les liens qui le retenaient captif sur les bords du passé, et il développe les magnificences de sa propre nature. Dans la troisième et dernière période, qui se continue jusqu’à la mort, il exagère certains procédés de facture qui trahissent plutôt le système que l’épanchement naïf d’une inspiration nouvelle. Ces trois manières, comme disent les savans, se remarquent chez tous les hommes de génie qui ne sont pas morts trop jeunes, comme Tasse, Raphaël et Mozart ; elles sont la manifestation des trois grandes périodes, que parcourt incessamment l’esprit humain avant d’arriver au terme fatal la jeunesse, la maturité et la décadence. Dans la première période, l’homme prélude et s’essaie aux combats de la vie sous les yeux de sa mère ; puis il s’épanouit glorieusement sous le feu des passions ; enfin il décroît et il meurt. Ce sont là les trois âges du monde dont parlent les poètes. Pour les hommes voués au culte de la beauté, l’âge d’or, c’est l’âge de l’amour, passion sublime et sainte qui n’éclate dans toute sa puissance que vers le milieu di nostra vita Tant que la flamme scintille sur l’autel sacré, il n’y a pas dépérissement dans les facultés créatrices de l’homme, et ses œuvres inspirées jaillissent du cœur empreintes d’une éternelle jeunesse. Gluck n’a-t-il pas composé son opéra d’Armide à l’âge de soixante ans ? En voulant suppléer à la défaillance de l’amour par les savantes combinaisons de l’esprit, on s’élève peut-être dans la hiérarchie des êtres pensans, mais on décline comme artiste créateur ; car, ainsi que le disaient les troubadours qui avaient