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mille routes tracées par la nature perdent presque toute leur utilité. Les glaces que le courant et les vents chassent au milieu de la baie d’Hudson s’y entassent en blocs immenses et entravent la navigation. À terre, on ne voit que des solitudes désolées, des montagnes raboteuses sillonnées à leur base de déchirures effrayantes, hérissées à leur sommet de pics aigus que recouvrent des neiges éternelles.

Pendant huit mois, l’hiver règne dans les tristes provinces que baignent les eaux de la baie d’Hudson, et quel hiver ! Le thermomètre tombe à 30, à 40 et même à 45 degrés (Farenheit). Dès la fin d’octobre, la rivière des Haies, qui conduit de la baie au fort York, est assez solidement prise pour porter des traîneaux. L’encre gèle à côté d’un poêle rougi par le feu. Terre, lacs, rivières, tout disparaît sous une couche épaisse de neige glacée qui prend la consistance et le poli du marbre. Le soleil d’avril paraît enfin ; le thermomètre remonte peu à peu jusqu’à zéro. Les buissons verdissent ; à travers les pousses nouvelles des bouleaux et des saules, les groseilles noires et rouges montrent leurs petites baies ; la framboise de marais, qui mûrit sur sa tige grêle et rampante, annonce le retour à la vie de cette nature engourdie depuis si long-temps. Les pins et les sapins ont secoué leurs manteaux de neige, mais cette neige a fondu sur le sol ; les terrains bas et unis se changent en marécages. Le printemps, l’été, l’automne, ces trois saisons si belles et si variées même dans nos climats indécis, se partagent les quatre mois que l’hiver leur abandonne. La chaleur subite de l’été fait éclore des myriades de moustiques et de mouches noires. Il faut de nouveau allumer de grands feux et se plonger dans les tourbillons d’une fumée suffoquante pour éloigner ces intolérables insectes. Il n’y a donc pas aux environs de la baie d’Hudson un seul jour vraiment agréable, entièrement exempt de souffrances, où l’on puisse dire, comme le paysan breton assis au milieu de ses landes fleuries : « Il fait bon vivre aujourd’hui. »

Dans ces mornes déserts, point de culture[1] : aussi la population y est-elle très clair-semée. Elle se compose d’Indiens, de métis, de Canadiens et de quelques Anglais qui habitent les comptoirs établis par la compagnie de la baie d’Hudson pour le commerce des pelleteries. Les Indiens sont divisés en une foule de tribus, toutes indépendantes, toutes nomades ; ils errent à la poursuite du gibier, qu’ils harcèlent dans ses migrations. Ceux qui vivent au pied des Montagnes Rocheuses, dans les prairies, sont les mieux partagés. Montés sur leurs chevaux, ils chassent le daim et le buffle, dont la chair leur procure une nourriture saine et abondante. Hors des prairies, plus au nord, l’élan et le

  1. Il faut en excepter la petite colonie de Kilkonan ou Red-River ; encore n’est-elle qu’une oasis située non pas au centre, mais à l’extrémité méridionale de ces territoires.