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c’est que sur divers points à la fois les sympathiseurs américains franchissaient hardiment la frontière pour les soutenir. Ces alliés, dans leur excès de zèle pour une cause qui semblait leur être étrangère, venaient en pleine paix attaquer jusque sur son territoire une puissance amie, et qui ne songeait qu’à se défendre chez elle. L’Angleterre repoussa avec vigueur les rebelles et leurs adhérens. On sait que ses colères sont terribles : dans cette circonstance où elle se voyait trahie au dedans et provoquée au dehors, elle se montra sévère, et la répression fut sanglante.

Cependant, malgré le succès de ses armes, l’Angleterre se tint pour avertie. Elle reconnut qu’il y avait quelques concessions à faire et de nouvelles mesures à prendre pour empêcher les Canadiens de prêter l’oreille aux insinuations et aux promesses de leurs voisins. Le mot d’annexion avait été prononcé à haute voix : perdre un si vaste territoire, capable d’absorber des millions d’émigrans, assez riche en forêts pour subvenir aux besoins de la plus puissante marine du monde ; livrer ces trésors aux États-Unis, leur abandonner l’embouchure du Saint-Laurent, qui les rendrait maîtres des îles du golfe et ferait passer entre leurs mains le monopole de la pêche, c’eût été pour la Grande-Bretagne un malheur irréparable. Afin de parer à ces éventualités menaçantes et retarder le plus long-temps possible la défection du Canada, le gouvernement anglais commença par renforcer considérablement l’armée ; divers points importans de la frontière furent fortifiés ou remis en état de défense. Cela fait, on changea l’organisation du pays tout entier. Les divisions de la colonie en haut et bas Canada disparurent ; il n’y eut plus qu’un seul gouvernement, dont le siège fut établi à Kingston, sous la dénomination de United-Canadas. Les deux chambres locales furent remplacées par un parlement. Cette législature ouvrit sa première séance en 1840, sous la présidence du gouverneur-général, lord Sydenham. Dans son discours, le représentant de la reine annonça que le gouvernement allait consacrer aux améliorations les plus urgentes que réclamait l’état du pays la somme de un million et demi de livres sterling ; il déclarait en outre que la plus grande attention serait apportée à l’entretien des routes anciennes, à l’établissement de routes nouvelles, à la construction de ponts à jeter sur les principales rivières. L’instruction publique, disait-il encore, recevrait les encouragemens dont elle avait besoin ; on chercherait à rapprocher la colonie de la métropole en rendant le service des postes plus rapide et les communications plus multipliées. Ce programme renfermait l’aveu implicite de l’abandon dans lequel avait été laissé le Canada, puisqu’il y restait tant à faire dans les diverses branches d’administration. En réduisant les deux gouvernemens à un seul, l’Angleterre créait sur les bords du Saint-Laurent une espèce de vice-royauté,