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une abréviation trop ingénieuse, certains adorateurs superstitieux du suffrage universel ; l’intitulé véritable sonne beaucoup mieux pour des oreilles anglaises, c’est « Appel à la raison et aux bons sentimens du peuple anglais. » Il semble que le cardinal se soit inspiré par-dessus tout de cette humeur nationale qui s’était précisément soulevée contre lui ; il parle le langage positif des affaires, de la logique et du droit qui plaît à la nation anglaise ; il le parle avec verve en même temps qu’avec adresse. Il prouve amplement qu’il n’y a pas de lois que la bulle du pape ait enfreintes, et il est assez fort sur la question de légalité pour en prendre plus à son aise avec la question de convenance. « J’aurais cru, dit-il, que vis-à-vis des Anglais il n’y avait qu’un point à démontrer, c’est qu’on était strictement dans les termes de la loi. » On ne saurait mieux saisir et mieux flatter le plus noble côté de ses adversaires. On ne saurait aussi décocher des traits plus acérés que ceux qui tombent au besoin de la plume du cardinal, et l’ironie pénétrante avec laquelle il a tiré vengeance des attaques de lord John Russell et du lord chancelier n’était pas faite pour lui nuire dans le public. On a hautement préféré ce style mordant qui sentait le rewiewer presque autant que le grand dignitaire ecclésiastique à la pédanterie doucereuse des tractarians.

La sympathie qui est si justement revenue au talent et au caractère de l’homme n’empêche pas néanmoins l’opinion de suivre son cours ; elle la modère seulement dans ses manifestations, et c’est de plus en plus le sentiment national, c’est de moins en moins la bigoterie anglicane qui donne le ton. Il ne manque pas certainement de saillies plus ou moins excentriques, qui compromettent encore le sérieux de ce mouvement si unanime, mais il n’est pas probable qu’elles puissent le pousser au-delà des limites dans lesquelles il doit se renfermer pour ne pas devenir une réaction regrettable contre les libertés établies depuis vingt ans. Il y aurait néanmoins un sûr moyen pour les catholiques anglais de mettre en danger ces précieuses libertés qu’ils ont conquises et que la raison du siècle doit leur maintenir : ce serait d’exciter par d’imprudentes paroles cette aveugle populace irlandaise qui fourmille dans quelques grandes villes d’Angleterre. Si l’échauffourée de Birkenhead se répétait ailleurs, si les catholiques éclairés ne s’employaient pas très vivement à dominer une effervescence trop provoquante, leur nouvel établissement hiérarchique en Angleterre aurait plus à souffrir de ces désordres, dont on les ferait responsables, : qu’il n’a souffert en somme des mascarades et des pétards du 5 novembre.

Nous avons mis sur la même ligne l’exaltation religieuse de l’Angleterre et l’exaltation militaire de la Prusse, parce que l’une et l’autre procèdent d’un même fond, et aussi parce que l’une et l’autre, dans les deux pays, se sont emparées des classes ordinairement moins sujettes à des élans si impétueux. Si quelque chose doit donner à penser à l’Autriche en face de la Prusse et l’engager à modérer ses exigences, c’est la conviction qu’elle doit avoir de jeter un trouble affreux dans tout ce que cette monarchie ébranlée garde encore d’élémens conservateurs. Il ne faut pas s’y tromper : l’armée du désordre est sans doute déjà prête à se lever dans les états prussiens, au cas où par malheur on en viendrait à toutes les extrémités de la guerre ; et cette guerre se ferait alors