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elle tient à quelque chose de très réel, et c’est beaucoup dans ce temps-ci, où les émotions comme les systèmes s’échafaudent si souvent en l’air. Il est tel point de vue d’où nous pouvons peut-être regretter le sens où marche, soit dans l’un, soit dans l’autre des deux pays, ce vif courant d’opinion ; ce n’est pas une raison pour en méconnaître l’aspect profondément original et sérieux.

Nous avons quelque envie d’esquisser en passant l’un de ces épisodes qui jette un intérêt assez dramatique sur l’histoire de nos derniers jours, et lui prête par endroits une physionomie qu’on ne s’attendrait pas à lui voir. Ce n’est pas trop de cette diversion pour rompre avec le train peu varié de nos propres aventures.

Le mouvement excité dans toute l’Angleterre par la nouvelle institution des évêchés catholiques se continue donc, et, quoiqu’il ait pris des allures moins rudes, il n’a rien encore perdu de son premier élan. Les incidens au contraire s’y multiplient tous les jours, et la question incessamment agitée prend une place de plus en plus remarquable dans la vie publique. À la lettre par trop véhémente que lord John Russell avait écrite dans le feu de la surprise, ont succédé des démonstrations mieux calculées. Le doyen de Bristol, par une circulaire adressée à son clergé, a donné le modèle d’une discussion plus mesurée sans être moins ferme. Lord John Russell, averti malheureusement trop tard du mauvais relief de sa correspondance avec l’évêque de Durham, a radouci la verdeur de son style, et comprimé suffisamment l’ébullition de son protestantisme. Au dîner donné à Guild-Hall par le lord-maire qui vient d’entrer en charge, les convives espéraient quelque sortie virulente de lord John Russell, comme si le chef du cabinet britannique avait fait vœu de ne plus parler en homme d’état. Cet espoir des bons dévots anglicans a été trompé. Le cardinal Wiseman, déjà de retour à Londres, contribuait peut-être à mettre alors le ministre whig assez mal à son aise en annonçant partout qu’il allait prouver que rien ne s’était fait à Rome sans l’aveu du Foreign Office, et en effet il a solennellement déclaré, dans sa récente publication, que, depuis deux ans, lord Minto, le fameux négociateur des whigs en Italie, avait vu tout imprimée la bulle pontificale qui établissait les douze évêques et leur primat. Lord Minto déclare, il est vrai, de son côté, qu’il n’y a pas aujourd’hui dans les trois royaumes de protestant plus étonné que lui des témérités de la bulle romaine. Quoi qu’il en soit, cette brochure, habilement lancée par l’archevêque de Westminster, aura servi beaucoup à ramener dans de meilleurs termes une controverse qui menaçait, au début, d’être si passionnée. L’oeuvre courageuse de l’éloquent et spirituel prélat a inspiré jusque dans le camp des plus extrêmes adversaires du papisme ce respect qu’on accorde volontiers en Angleterre à tout beau joueur qui défend bien sa partie. Il n’est plus question à présent de pendre ou de brûler l’effigie du cardinal, et ceux qui, déblatérant d’avance contre lui, tiraient prétexte du lieu de sa naissance pour l’accuser de n’être qu’un Espagnol, reconnaissent maintenant, avec une fierté passablement amusante, qu’il a de meilleur sang dans les veines. Grace à toutes ces circonstances, le débat se range en quelque sorte, et son âpreté diminue ; mais l’intensité du sentiment qui l’a provoqué ne se dissipe pas, et la nation tout entière, les laïques aussi bien que l’église, les campagnes comme-les villes, toutes les corporations, toutes les conditions de la société, country-gentlemen réunis sous la