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comme celui de son génie, c’étaient la fierté et l’indépendance. Il ne fut jamais décoré d’aucun ordre, ni revêtu d’aucun titre. Il aimait la liberté ; il estimait les ames fières comme la sienne, et il est mort plein de foi dans le Dieu des chrétiens et dans les béatitudes d’une vie future.

L’oeuvre de Beethoven est l’une des plus considérables qui existent en musique. Par la diversité aussi bien que par la grandeur de ses formes, on ne peut la comparer qu’à l’œuvre de Michel-Ange ou à celle de Shakspeare. Il a traité tous les genres, et écrit pour toutes sortes d’instrumens, depuis le lied jusqu’à l’opéra, depuis le simple caprice de flûte jusqu’à la symphonie, où tous les dialectes et tous les styles viennent se fondre dans un tableau puissant. Quelles que soient les beautés qu’on remarque dans Fidelio, dans le Christ au mont des Oliviers, dans la grande messe en , dans les cantates et dans cette admirable ballade d’Adélaïde que vous chantez si bien, Beethoven est très inférieur à Mozart et même à Weber dans la musique vocale et dans le drame lyrique. Son génie fougueux et son inépuisable fantaisie ne pouvaient s’astreindre à respecter les limites de la voix humaine dont il exigeait des efforts impossibles. Il y a des choses inexécutables aussi bien dans sa symphonie avec chœurs que dans ses cantates et dans Fidelio. La surdité de Beethoven ne lui permettait pas d’ailleurs de juger par lui-même de l’effet que produisait un passage écrit dans les cordes inusitées de la voix. Un jour qu’on répétait, sous sa direction, l’oratorio du Christ au mont des Oliviers, Mlle Sontag et Mlle Unger, qui chantaient, l’une les solos de soprano, et l’autre ceux de contralto, eurent avec Beethoven une discussion plaisante. Ne pouvant atteindre à certaines cordes trop élevées, elles demandèrent à l’auteur de vouloir bien les changer : « Non pas, dit-il, je vous prie de chanter exactement comme cela est écrit. J’avoue que ma musique n’est pas aussi commode à interpréter que les jolis lieux communs de messieurs les italiens ; mais je désire qu’on l’exécute telle qu’elle est. — Mais si c’est impossible, maître ! — Si, si ! répondit Beethoven en secouant la tête. — Vous êtes le tyran des pauvres chanteurs, » lui répliqua Mlle Unger avec vivacité, et les deux cantatrices, s’entendant comme deux larrons en foire, modifièrent sans rien dire les passages en question, laissant Beethoven dans l’ignorance de leur espièglerie.

C’est dans la musique instrumentale qu’éclatent la puissance et l’originalité de Beethoven. Poète lyrique, ame religieuse et profonde, imagination grandiose et charmante, il n’est complètement lui-même qu’au milieu de ces instrumens qui parlent toutes les langues et qui reproduisent toutes les sonorités de la nature. La sonate, le concerto, le trio, le quatuor, toutes ces formes de la poésie des sons que Bach, Haydn et Mozart semblaient avoir fixées pour toujours, reçoivent de