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moins long - c’est une bizarrerie chez le poète et dont l’auditeur une espèce de tour de force de mémoire, qui ne me paraissent pas regrettables.

J’en dirai autant, des rimes que Molinier appelle serpentines, rétrogrades, multiplicatives, dérivatives, et qui ne sont que des jeux puérils. Les autres combinaisons, telles que les rimes plates, enchaînées, croisées, continuées, etc., que tous les peuples modernes ont adoptées et reproduites, suffisent à la gloire des troubadours. Cette gloire ; ne saurait désormais leur être contestée. Selon toutes les apparences, la rime, qui existe de temps immémorial dans la poésie orientale, a été importée en Europe par les Arabes au commencement du VIIIe siècle, lors de la grande invasion qui vint mourir sous la hache de Charles Martel. L’Espagne et la France méridionale furent les premières à recevoir ces conquérans et les dernières à leur obéir ; la langue romane, qui était alors, en pleine formation, fut naturellement la première à leur emprunter la rime, et les troubadours tirèrent immédiatement de la rime tout le parti possible, en imaginant toutes les combinaisons qui ont été usitées depuis et même beaucoup d’autres qui sont justement, tombées en désuétude. Ils ont fait plus ; ils ont imaginé tous ces mélanges de vers de différentes mesures qui forment dans la poésie française une si grande, variété de strophes et de rhythmes. Ronsard, Jean-Baptiste Rousseau, M. Victor Hugo, tous nos lyriques, ne sont encore, sous ce rapport, que leurs imitateurs.

Malheureusement il ne suffit pas de montrer avec précision les règles d’une versification savante pour faire naître de véritables poètes. Le collége des Jeux Floraux n’atteignit qu’imparfaitement le but qu’il recherchait par l’œuvre de son chancelier. L’heure : fatale était arrivée pour la poésie romane ; les ombres s’étendirent peu à peu sur elle. La seconde publication de l’académie, le recueil des principales pièces de poésie couronnées par les Jeux Floraux de 1324 à 1496, fait suivre les progrès de cette décadence et permet en même temps de constater la vitalité de cette poésie, qui ne mit pas moins de trois siècles à mourir, et qui se relève quelquefois par des éclairs d’inspiration.

Même dans le bon temps des troubadours, la poésie, romane, il faut le reconnaître, ne se fait jamais remarquer par la force de la pensée. Si les poètes provençaux ont inventé les formes de la versification moderne, ils se sont en quelque sorte épuisés dans cette création ; leur génie est tout musical. On pourrait comparer leurs compositions à ces cavatines italiennes modernes qui n’expriment aucune idée bien précise, mais qui ravissent l’oreille par le charme, bien qu’un peu monotone, de leurs accens. Un choix bien fait des chefs-d’œuvre de cette poésie comprendrait tout au plus une cinquantaine de pièces vraiment remarquables ; il est à regretter que ce choix n’ait pas été fait : il suffirait pour rendre cette littérature un peu populaire, en lui donnant la place qui lui appartient dans les bibliothèques.

À partir de l’asservissement définitif de la nationalité méridionale, cette faiblesse native devient plus sensible. Le pays est triste et opprimé ; il se tourne encore vers sa chère poésie comme vers sa consolation, il l’appelle plus que jamais le gai savoir pour contraster avec les amertumes de la réalité ; mais la liberté lui manque dans ses chants comme dans ses actes. Les troubadours des bons siècles chantaient au moins l’amour et la guerre ; les poètes, leurs successeurs, n’osent même pas donner cet essor à leurs vers. L’amour, pour eux, a changé de sens ils n’en parlent plus que par figure. Leurs sujets sont presque