Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/942

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cette loi secrète qui unit le développement littéraire au développement politique, il perdit son illustration poétique en manie temps que son indépendance. Cependant la langue n’était pas encore éteinte et le goût pour la poésie survivait ; une institution célèbre, celle des Jeux Floraux de Toulouse, fut créée pour résister à cette décadence. Pendant le XIVe, le XVe et même le XVIe siècle, on continua à faire dans le midi des vers en langue romane ; ces vers étaient envoyés pour la plupart aux jeux floraux, qui décernaient tous les ans des prix. Ce ne fut que vers la fin du XVIe siècle que cette belle langue des troubadours, de plus en plus comprimée par le progrès de la langue française, devint décidément un patois ; mais ce patois lui-même est resté tellement pénétré de l’antique inspiration, qu’il n’a cessé de produire des poètes, depuis Goudouli jusqu’à Jasmin.

L’académie des Jeux Floraux possédait des manuscrits qui contenaient ces compositions romanes de la décadence : elle a entrepris de les publier. Une première publication avait eu lieu il y a trois ans ; une seconde vient de la suivre. Toutes deux font connaître parfaitement l’état de la langue et de la poésie romanes, de 1324 à 1496.

D’abord se présente un traité complet de grammaire, de rhétorique et de prosodie romanes. Ce traité curieux, écrit lui-même en roman, a été composé vers 1350 ; c’est, à coup sûr, un des monumens les plus importans de l’histoire littéraire. M. Raynouard l’avait connu et consulté, mais il n’avait pas cru devoir le donner en entier au public. L’académie des Jeux Floraux en a jugé autrement. Les travaux de l’érudition moderne sur une langue éteinte ont certainement leur prix, mais une étude originale, faite au moment où la langue était encore vivante, a bien sa valeur aussi, d’autant plus que le traité dont il s’agit n’est pas un simple abrégé ; le texte et la traduction en regard ne forment pas moins de trois volumes grand in-8o. Il est intitulé : Les Fleurs du gai savoir, autrement dites les Lois d’Amour (las flors del gay sabir, estier dichas las leys d’amors). Ces mots fleurs du gai savoir et lois d’amour étaient synonymes dans le langage figuré du temps, et signifiaient règles de la poésie ; la poésie s’appelait indifféremment gai savoir, gay saber, ou, amour, amors.

Il y avait donc à Toulouse, en 1324, une compagnie littéraire dite du gai savoir, composée de sept poètes, qui tenait ses séances sous un ormeau et qui ouvrait des concours poétiques. Cette compagnie, jugeant avec raison que la langue et la poétique des troubadours, ses devanciers, étaient menacées de mort, chargea son chancelier, Guillaume Molinier, de rédiger les règles de cette langue et de cette poétique, d’après les modèles des bons temps, afin que tous pussent connaître les véritables règles de l’art de trouver, c’est-à-dire de faire des compositions nouvelles en roman pur et bien mesuré. Molinier s’aida dans ce travail des conseils des hommes les plus capables, consulta la compagnie sur les cas difficiles et soumit l’ouvrage à son approbation. Le tout fut achevé et définitivement rédigé en 1356 ; on en fit beaucoup de copies, et on les envoya en divers lieux, mais le manuscrit primitif, raturé, corrigé, surchargé d’additions sur toutes les marges, resta à Toulouse. Ce manuscrit, relié en velours vert avec fermoirs en cuivre, se compose de cent cinquante-quatre feuillets en parchemin, : écrits sur deux colonnes, avec majuscules peintes ; c’est celui qui vient d’être livré à l’impression.