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éterniser le souvenir de cette conquête, ordonna au graveur d’en faire le sujet d’un pendant à la planche qu’il venait de terminer ; mais Callot s’indigna à l’idée de consacrer par ses talens l’humiliation de son prince, et répondit qu’il aimerait mieux « se couper le pouce que d’obéir. La réponse n’était pas de nature à concilier à celui qui l’avait faite les bonnes graces du cardinal ; Callot le sentit, il alla prendre congé du roi, et peu de temps après il se retirait dans sa ville natale, où il mourut à quarante-sept ans.

La gravure à l’eau-forte, perfectionnée par Callot et par ses élèves, était devenue tout-à-fait de mode en France[1]. Abraham Bosse acheva d’en populariser l’usage en la consacrant à l’ornementation des missels, des livres de science, à l’enjolivement des éventails et des mille objets de luxe qu’on vendait alors dans cette Galerie-Dauphine du Palays qu’une de ses estampes nous représente, et dont une comédie de Corneille porte le nom. Il publia encore un nombre infini de pièces de toute sorte, sujets de mœurs, portraits, etc., pièces exécutées presque toujours d’après ses dessins, quelquefois aussi d’après ceux du peintre normand Saint-Ygny. Bosse est sans doute un artiste de second ordre ; il s’en faut de beaucoup qu’il soit un artiste sans mérite. Observateur intelligent, sinon très délicat, il donne à ses figures et à l’ensemble d’une scène un caractère de vraisemblance qui n’est pas tout-à-fait la vérité, mais qui est bien près d’en avoir le charme ; il possède le sentiment du dessin juste, à défaut de goût pour la forme raffinée ; enfin, à ne le prendre que comme graveur, il a beaucoup de la pratique sûre, accentuée de Callot, avec quelque chose déjà de ce style sobre et serein, de ce beau style français qui va se développer de plus en plus dans notre école de gravure, pour arriver, vers la fin du siècle, à sa dernière perfection et rester le type de l’exactitude et de l’ampleur. On doit à Abraham Bosse des améliorations importantes dans la construction des presses, dans la composition des vernis, et des découvertes utiles dans toute la partie matérielle de l’art ; on lui doit aussi quelques écrits avec planches « gravées en perfection, » comme il le dit naïvement lui-même, et dont le plus intéressant, le Traité des manières de graver sur l’airain par le moyen des eaux-fortes, est le premier livre que l’on ait publié en France sur la gravure. Ajoutons que les estampes d’Abraham Bosse, comme celles de presque tous les graveurs à l’eau-forte de son époque, dénotent une tendance continuelle à imiter avec la pointe les travaux du burin : tendance digne de remarque, mais blâmable à certains égards, puisqu’elle aurait pour

  1. L’eau-forte, qui nécessite moins qu’aucun autre genre de gravure un long apprentissage, fut souvent employée par les peintres français du XVIIe siècle. M. Robert Dumesnil, qui fait autorité eu pareille matière, cite parmi les graveurs de cette époque Poussin, Lesueur, Simon Vouet et Valentin. Qui ne connaît les admirables eaux-fortes de Claude Lorrain ?