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en serait sinon impossible, au moins complètement superflue. Il arrive parfois que le charme de la peinture nous affecte d’une manière assez abstraite pour qu’il en résulte une sorte de sensation musicale ; mais il semble que l’art de la gravure ne puisse, en aucun cas, être doué d’une force d’expansion analogue, et cependant les estampes de Rembrandt ne la possèdent-elles pas ? On y reconnaît moins la réalité des choses qu’on n’y sent des aspirations indéfinies, on est plus touché du sens mystérieux de ces rêveries passionnées que de la forme sous laquelle elles apparaissent. L’impression reçue est si vive qu’elle fait taire absolument tout instinct de critique, et l’on n’est pas plus arrêté par le goût de certains détails, choquans partout ailleurs, qu’on n’est tenté de se rendre compte de l’habileté de la pratique. En voyant le Christ guérissant les malades, l’Ecce-Homo, la Résurrection de Lazare et tant d’autres chefs-d’œuvre semblables, qui pourrait blâmer d’abord le peu de beauté des types et l’étrangeté clos ajustemens ? Celui-là, seul qui commencerait par regarder à la loupe le travail du rayon illuminant la scène dans les Disciples d’Emmaüs. Rembrandt a une manière immatérielle, pour ainsi dire. Tantôt il touche, il heurte le cuivre comme au hasard, tantôt il procède par tailles délicates ; il interrompt dans la lumière le trait qui marque le contour, pour l’accuser énergiquement dans l’ombre, ou bien il emploie la méthode toute contraire. Il se sert des instrumens comme Bossuet se sert de mots, en les soumettant aux besoins de sa pensée, en les contraignant de l’exprimer, sans préoccupation du fini, du subtil. Comme lui aussi, il se compose un style simple et majestueux des élémens les plus divers, du familier et du pompeux, du vulgaire et de l’héroïque, et de ce mélange résulte l’harmonie admirable de l’ensemble.

Les graveurs formés par Rubens et les élèves de ceux-ci ne trouvèrent pas des successeurs dignes d’eux. La révolution qu’ils avaient accomplie dans l’art fut de courte durée et ne s’étendit pas au-delà des frontières des Pays-Bas. En Italie, les estampes flamandes furent d’abord complètement dédaignées, parce qu’elles n’offraient ni un dessin très châtié, ni un style très pur ; on y disait qu’elles semblaient faites pour décorer des murs d’auberge. En Allemagne et en France, où régnaient alors les opinions italiennes, elles ne reçurent pas un accueil plus favorable. Lorsqu’on leur accorda enfin l’estime qu’elles méritaient, l’époque était venue où les graveurs français surpassaient ceux de toutes les nations, et où ils ne devaient plus songer à se faire imitateurs. Le mouvement de l’école flamande est donc, pour ainsi dire, un incident dans l’histoire de l’art, et les chefs-d’œuvre qu’il a produits ne paraissent pas avoir eu sur la gravure en général une influence, sensible. Pour qu’il en fût autrement, il aurait fallu que les graveurs de tous les pays renonçassent non-seulement aux traditions d’art nationales, mais encore aux peintures qu’ils avaient choisies pour modèles ;