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des têtes, la délicatesse de l’exécution, la limpidité, du style, n’y sont pas moins remarquables que l’harmonie de l’effet et ce qu’on pourrait appeler l’intention du coloris. Les estampes gravées par Lucas de Leyde sont moins recherchées que celles de Marc-Antoine et d’Albert Dürer ; elles sont même moins généralement connues, et c’est là une double injustice. Le portrait de Maximilien pourrait être comparé sans désavantage aux portraits de quelques souverains pontifes dus au burin du graveur de Bologne, et, dans les sujets historiques qu’il a traités, Albert Dürer est loin de surpasser l’auteur du Calvaire, de l’Adoration des Mages, du Baptéme de Jésus, et de beaucoup d’autres compositions pleines de science et de sentiment profond.

Lucas de Leyde put voir, pendant sa trop courte vie, ses travaux récompensés par la fortune ; mais il fit toujours le plus noble usage de l’autorité qu’il avait acquise. Proclamé chef de l’école par ses compatriotes, en commerce d’amitié avec les graveurs allemands qui, à l’exemple d’Albert Dürer, lui envoyaient leurs ouvrages ou qui venaient eux-mêmes lui demander des conseils, disposant de sommes considérables, il n’employait son influence ou ses richesses que dans l’intérêt de l’art et des artistes. Pas un de ceux-ci, quelque médiocre qu’il fût, n’était éconduit lorsqu’il s’adressait à lui ; encore le digne maître avait-il soin de déguiser ses services sous quelque prétexte de profit personnel : il s’agissait toujours pour lui de dessins à faire d’après tel monument, tel objet d’art, et, feignant d’avoir besoin, de ces reproductions, il ménageait l’amour-propre de celui qu’il voulait secourir en le chargeant de les exécuter. Plusieurs fois il entreprit des voyages dans les Pays-Bas pour aller visiter des graveurs ou des peintres bien inférieurs, à lui par le talent, et qu’il appelait modestement ses rivaux. Il les honorait par ses hommages, leur donnait des fêtes, et ne les quittait pas sans avoir échangé contre leurs ouvrages, ainsi payés au centuple, quelques-unes de ses compositions. Ce fut dans un de ces voyages, à Flessingue, qu’un misérable, comblé des bontés de Lucas de Leyde, empoisonna, dit-on, son bienfaiteur bien que le coup parût d’abord trahir l’espoir du meurtrier, il n’en avait pas frappé moins sûrement la victime. Lucas vécut quelques années encore épuisé, languissant, refusant cependant de se condamner à l’oisiveté ; lorsqu’il n’eut plus la force de se lever, il continua ses travaux dans son lit, et demeura jusqu’à la fin fidèle aux nobles passions de toute sa vie : à l’art qu’il avait agrandi, à la nature qu’il avait étudiée avec amour. Peu d’heures avant de mourir, il se fit transporter au haut de la cathédrale de Leyde pour admirer encore le coucher du soleil, et là, s’absorbant dans une contemplation silencieuse, entouré de ses amis, de ses élèves, il salua une dernière fois sa ville natale, et le ciel doit le jour fuyait comme la vie s’échappait de son sein. Digne fin d’une