Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu trop loin, trouvant un double profit à copier le faire et la signature. On a vu le résultat de l’entreprise : réussite d’abord, ensuite déconvenue et punition du coupable, que, par surcroît, la justice menaça de l’emprisonnement, si le cas se présentait de nouveau ; Marc-Antoine se le tint pour dit, et se rendit à Rome, où Raphaël lui permit, à la recommandation de Jules Romain, de graver quelques-uns de ses dessins.

La noblesse de sentiment, la pureté de goût et d’exécution qui brillent dans ces planches, devenues classiques, n’ont pu être surpassées ; c’est là ce qu’on doit y admirer sans réserve ; il ne faut point y chercher autre chose, encore moins regretter de ne pas l’y trouver. Leur reprocher l’absence de couleur et de plans aériens serait aussi injuste que de demander aux estampes, de Rembrandt un style et des types italiens ; les unes sont des modèles de beauté exprimée par la ligne et le caractère élevé de la forme, les autres rayonnent de poésie par le ton et l’harmonie de l’effet. Les deux grands maîtres de Bologne et de Leyde, si opposés l’un à l’autre par la nature de leurs aspirations et par le choix des moyens, ont, chacun en sens contraire, réussi à faire prévaloir leurs talens exclusifs : tous deux ont atteint leur but, à tous deux leur part de gloire. Il serait donc au moins oiseux de signaler, pour s’en plaindre ainsi qu’on l’a fait quelquefois, ce qui manque aux chefs-d’œuvre de Marc-Antoine, et de parler du charme qu’ils auraient pu emprunter à une science plus profonde du clair-obscur[1]. Des qualités de cette espèce devaient se manifester ailleurs que dans des estampes gravées (on ne saurait trop le répéter) d’après des originaux au crayon ou à la plume ; elles ne pouvaient se glisser, au XVIe siècle et en Italie, sous le burin d’un disciple de Raphaël : burin épique, pour ainsi dire, et dédaigneux de conditions ténues alors pour secondaires. Aussi la main qui le dirige a-t-elle plus de volonté que de délicatesse, plus d’instinct que de patience. Pour modeler un corps dans l’ombre, elle se contente de serrer plus ou moins des hachures irrégulièrement contrariées ou à peu près parallèles, en les subordonnant au sens de la forme et du mouvement qu’elles expriment ; puis des traits légers, mais résolus, indiquent la demi-teinte et se terminent par quelques points dans les parties qui avoisinent la lumière. Pourtant rien de plus précis, sous le rapport du dessin, que le résultat d’une méthode si simple. L’exact entrecroisement des tailles importe assez peu à Marc-Antoine ; ce qu’il veut rendre visible ce n’est ni le mode, ni le choix des travaux : quelque peu compliqués qu’ils soient, ils lui suffisent, pourvu

  1. Michel Huber (Manuel des curieux et des amateurs de l’art, tome III) dit textuellement : « Il n’y manque (à ces estampes) qu’un burin plus nourri, et cet effet qu’on admire dans les pièces gravées d’après Rubens. » C’est à peu près comme si l’on disait : Il ne manque au style de Pétrarque que de ressembler à celui de Shakspeare.