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faut dire aussi que parfois cette énergie dégénère en âpreté et cette fermeté en sécheresse, que le style est un peu aride et monotone, et qu’à force d’être détaillés les accessoires nuisent à l’aspect général. Les défauts d’Albert Dürer peuvent être attribués en partie aux tendances et à la science incomplète de l’époque, en partie à ce goût national pour l’analyse qui de tout temps a inspiré les productions allemandes ; mais ses qualités lui appartiennent en propre, et il est facile de s’en convaincre en comparant son œuvre à celui des graveurs antérieurs.


III. – ÉCOLE ITALIENNE. – MARC-ANTOINE : le Jugement de Pâris, le Massacre des Innocens, le Parnasse, d’après Raphaël ; — Le Martyre de saint Laurent, d’après Baccio Bandinelli.

Depuis Botticelli, Mantegna et les autres imitateurs de la manière de Finiguerra, l’habileté des graveurs italiens demeurait à peu près stationnaire. À Florence et à Rome, on en était encore à tracer timidement des contours à peine renforcés d’ombres pâles[1] ; en un mot, l’école italienne n’était pas, à vrai dire, fondée, lorsque parurent les premiers ouvrages de Marc-Antoine : on juge avec quel succès ! L’admiration fut générale ; les artistes virent clairement la route à suivre, et nombre d’entre eux s’y précipitèrent sur les pas de celui qui venait de l’ouvrir. C’est qu’en effet le jeune maître transportait l’art dans un monde nouveau ; de plagiaire, il devenait créateur à son tour ; grace à lui, l’Italie n’avait plus rien à envier à l’Allemagne.

Né à Bologne, où il avait étudié à l’école du peintre Francia, Marc-Antoine Raimondi n’était encore qu’un niellateur obscur et assez peu occupé, lorsqu’un orfèvre de Venise lui proposa de l’employer dans sa boutique à des travaux de gravure plus fructueux. L’offre acceptée, on se mit en route, et, au bout de quelques jours, l’apprenti fut installé chez son nouveau maître, qui venait de recevoir une suite de pièces récemment publiées par Albert Dürer. Les estampes allemandes commençaient à être recherchées dans plusieurs villes d’Italie, mais on ne les connaissait pas à Bologne, et Marc-Antoine, en les voyant à Venise pour, la première fois, sentit, comme deux siècles auparavant Giotto à l’aspect des peintures de Cimabué, que l’art se révélait à lui[2]. Malheureusement, tout en imitant, en vue de son instruction particulière, des modèles alors incomparables, le jeune graveur poussa l’imitation

  1. L’aspect terne et grisâtre des anciennes estampes italiennes résulte sans doute de l’inexpérience des artistes, mais il tient aussi à la nature des métaux employés. Jusqu’à Marc-Antoine, on gravait presque toujours, en Italie, sur étain ou sur argent, très rarement sur cuivre.
  2. Il existe une pièce gravée par Marc-Antoine en 1502, année où il se trouvait encore à Bologne : c’est la Mort de Pyrame, d’après Francia ; mais l’exécution en est si faible, comparée à celle des pièces qui suivirent, qu’il est permis de dire que le talent du graveur Ce date que de l’époque de son arrivée à Venise.