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exemple tiré de la gravure, que l’on rapproche d’une épreuve obtenue par le procédé Collas le camée antique gravé par M. Desnoyers d’après un dessin de M. Ingres, et l’on appréciera de reste quelle distance sépare, en fait d’art, la fidélité mécanique de la vraie beauté. Cette remarque peut s’appliquer également au daguerréotype, dont les produits ont presque toujours une apparence froide et morne c’est que la vérité s’y montre trop vraie, pour ainsi dire. Les images de cette espèce sont précieuses dans les cas où une rigoureuse précision est la seule condition à rechercher, dans ceux entre autres où la science a besoin de données certaines et d’exemples positifs. Le daguerréotype peut de même fournir à l’art des renseignemens utiles, et jusqu’à un certain point lui servir d’auxiliaire, mais il ne peut devenir son rival.

La gravure doit donc vivre en dépit de ces découvertes diverses et garder la place qu’elle a prise parmi les arts du dessin le jour où, soit hasard, soit génie, un orfèvre de Florence imagina de couvrir de noir une plaque d’argent ciselée et d’en tirer une empreinte sur papier. Depuis lors plusieurs nations ont eu, successivement ou aux mêmes époques, leurs écoles de gravure, écoles plus ou moins illustres, toutes d’un caractère conforme à celui de leurs écoles de peinture. Partout et en tout temps les deux arts marchent parallèlement : mêmes progrès, même gloire, même décadence. Le fait est remarquable en France comme ailleurs ; mais, ce qui l’est plus encore, c’est le nombre de graveurs éminens que notre pays a vus naître, c’est l’ensemble incomparable des talens qui l’honorent et qui s’y sont constamment renouvelés depuis le règne de Louis XIII jusqu’au temps où nous vivons.

Cette supériorité de nos graveurs s’explique par la nature même du génie de nos peintres : quel est le signe distinctif de ceux-ci ? où réside l’originalité de l’école, c’est-à-dire d’une réunion d’artistes en communauté de tendances et de doctrines, si ce n’est dans l’intelligence profonde des sujets, du geste, de la vérité morale, dans l’application du raisonnement à l’expression nette de la pensée ? Les qualités essentiellement pittoresques n’ont jamais brillé d’un très vif éclat dans la peinture française, mais les qualités dérivant de la méditation et d’un sens droit s’y manifestent le plus souvent. C’est par ce lien que les peintres modernes se rattachent aux portraitistes du XVIe siècle exacts jusqu’au scrupule, aux peintres du XVIIe sensés par-dessus tout, à ceux même du siècle dernier, dont le mérite principal est l’esprit, la sagacité. Malgré les variations de la forme, la tradition se retrouve dans toute notre école : on y rencontre des penseurs austères comme Poussin, recueillis comme Philippe de Champagne, mélancoliques comme Lesueur et Prudhon. Les arrangeurs ingénieux et les observateurs fins y abondent, depuis Lebrun jusqu’à Gérard, depuis les