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l’homme réduit à sa plus simple expression, — c’est toujours l’effréné, ce qui séduit la jeunesse, ce qui est le type de ses propres passions et de ses conclusions exclusives.

Il serait bon pourtant de balayer ces écuries d’Augias, ou du moins de le tenter. Voilà assez long-temps que nous nous en rapportons au bon sens du pays, à la conscience des masses et à l’évidence de la vérité. En dépit de toute théorie, nous savons que la raison générale est incapable de jouer le rôle qui lui a été assigné, celui de faire justice des erreurs. Il est clair que la bourgeoisie est décidée à lire et à faire prospérer les journaux qui prennent à tâche de déchaîner contre elle les masses ; il est clair qu’elle est décidée à applaudir aux orateurs qui parlent pour faire la cour aux étudians, aux romanciers qui la couvrent de boue, à tous les écrivains qui glorifient à ses dépens des héros populaires, parce que le chiffonnier est plus pittoresque, et qu’ils n’ont pas le sens des délicatesses dont se composent les types d’un ordre plus élevé. Il est clair et patent que les hommes qui ont des femmes, des filles et des sœurs sont incapables, entièrement incapables de sentir quelle importance il peut y avoir à mettre à la raison les théâtres qui excitent leurs femmes à les tromper et les jeunes don Juan à séduire leurs filles. Il est parfaitement constaté que le pays n’a pas le don d’apercevoir les dangers dont le menacent les systèmes étourdis et les saints droits de l’émeute, la méthode géométrique et le culte de la brutalité. Attendre, d’un autre côté, que les romanciers et les philosophes veuillent bien se convertir, ne serait rien moins que folie. Cela reviendrait à attendre que la raison s’enfante toute seule là où elle n’est pas. Les écrivains, la presse et le théâtre nous ont montré ce qu’il y avait à redouter d’eux ; il ne nous est pas même permis de rejeter sur eux la responsabilité des désordres qu’ils ont causés. Ceux qui eussent pu les contrecarrer avaient intérêt, j’imagine, à ne pas laisser saper le plancher qui nous porte tous : de quel droit, en restant eux-mêmes les bras croisés et en ne faisant pas leur besogne, iraient-ils reprocher à d’autres de ne pas la faire pour eux ? La première loi de ce monde, c’est qu’il y faut gagner son pain à la sueur de son front. Les journaux qui dénaturent les faits et qui soufflent la haine au nom de la fraternité réussissent ; les romans et les théâtres qui célèbrent comme la chose la plus charmante le mépris de tout devoir réussissent ; les philosophes qui propagent comme la sagesse l’art, d’arranger les situations pour refaire les ames et de vouloir de l’oxyde d’or pour créer de l’oxygène et de l’or réussissent : force nous est bien de conclure que ce sont eux qui sont dans le normal et qui ont Dieu de leur côté. Sans doute ils sont le rappel à l’ordre qui a mission de nous contraindre à réfléchir, de nous forcer à reconnaître les périls que nous n’avons pas su voir, et à ne point permettre, surtout ce qui a été permis