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notre activité s’est donné le même but : celui de découvrir et d’organiser ce qui devait être pensé, ce qui devait être voulu, ce qui devait être effectué par tous.

Les faits ont répondu à cette théorie. Où nous a-t-elle menés ? Où en sont, répéterai-je, la raison et la conscience du pays ? Je ne parle pas de l’usage qui peut nous faire désigner telles ou telles choses par les termes bien et mal ; je parle de ce qui semble vraiment noble ou méprisable à nos populations, de ce qui les attire ou les repousse réellement. À parler franc, l’horreur du meurtre et le mépris du vol sont à peu près les seules répulsions instinctives dont se compose la conscience des majorités. Quant à leurs sympathies, elles sont encore acquises à ce genre d’esprit dont le nom de M. Béranger est pour beaucoup l’emblème. Chaque soir nos théâtres bafouent de leur mieux les habitudes d’ordre et de patience, l’homme rangé, le bourgeois, le jeune homme laborieux, la femme sans imagination ; chaque soir ils glorifient, comme la somme de toute élégance, le bon cœur qui se traduit par la vie de femme entretenue, les dons de l’esprit qui se révèlent par la vie de viveur, en un mot les excellentes natures qui se consacrent à duper un père ou à faire des dettes sans les payer, à fraterniser avec la fange en se moquant de la prévoyance, à aimer pendant sa jeunesse la Lisette qu’on ne saurait estimer, pour passer ensuite sa vieillesse à regretter Lisette et le temps perdu. Sous toutes ses formes, le dérèglement nous séduit. Comme jurés, nous lui rendons hommage en ne nous renfermant pas dans nos attributions[1] ; comme citoyens, nous ne voulons pas que les uns soient chargés de faire la loi ou de l’interpréter, et les autres d’obéir. Chacun prétend accomplir toutes les tâches excepté la sienne, ou, en tout cas ; ne pas permettre que rien de ce qui doit être décidé le soit autrement qu’il ne l’entend. En fait de grands sentimens, j’ai dit ce qui semblait aux masses le sublime de l’homme politique : l’idéal général n’est que trop conséquent avec lui-même. Comme intelligence, ce que nous admirons, c’est le logicien systématique, le séide d’une idée fixe, celui qui s’arrange pour concevoir tous les phénomènes de l’univers comme les opérations d’une unique règle générale, ou plutôt chez qui il n’y a qu’une formule qui s’arrange pour lui faire à elle seule des manières de voir sur tout et des manières de voir qui n’expriment qu’elle. Comme énergie et comme dévouement, ce qui nous paraît le plus beau, c’est le séide d’un principe, l’être dont les actions et les décisions procèdent d’un unique parti pris, et sont ainsi comme l’évolution brutale d’une volonté qui ne veut écouter qu’elle. En tout, ce que nous aimons, c’est toujours le monomane,

  1. Ne pourrait-on pas recommander aux présidens de cours d’assises de rappeler aux jurés que leur devoir est de juger uniquement la question de fait ?