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toujours un vilain spectacle que celui d’une nature d’homme qui n’a qu’une corde, comme les animaux informes n’ont qu’un organe pour tout faire ; mais quand cette corde est le dénigrement, quand un écrivain a pour unique refrain que tout est vil et ignoble dans l’homme ou hors de l’homme, et quand il trouve cela fort gracieux et qu’il en ricane, on n’a pas à envier sa gaieté. Du dénigrement, rien que du dénigrement, telle était pourtant la substance des romans qui, sous l’empire et au commencement de la restauration, ont trouvé la critique si tolérante. Qu’on les ouvre. Parlent-ils d’un voleur, — après tout, se hâtent-ils d’ajouter, le vol est bien permis aux ministres. Mettent-ils en scène un banquier, — c’était un sot, disent-ils bien vite, il n’est pas étonnant qu’il ait fait son chemin. Règle générale, avec eux, toute femme honnête est laide, ou hypocrite ou méchante ; tout homme qui est dans une position élevée est un misérable ; l’éducation a fait son possible pour lui enseigner ce que l’esprit humain avait pu apprendre, pour lui transmettre la moralité que l’ame humaine avait pu acquérir : il faut qu’en lui l’éducation soit bafouée et traînée dans la boue ! Bref, à leurs yeux, le monde est le sabbat du diable : ils n’y voient que désordre ; ils ravalent tout, excepté les ignorans, excepté le bon curé qui bénit la fille de joie, et le charmant garçon qui ne songe qu’à rire, à séduire les femmes et à déshonorer les maris. Encore non ; s’ils avaient vraiment respecté ces beaux mérites, je dirais : Cela prouve au moins qu’ils avaient la puissance d’estimer quelque chose ; mais rien de tel. Leurs admirations n’étaient qu’un mensonge, un moyen détourné de conspuer les scrupules et les devoirs dont ils personnifiaient le mépris dans leurs héros. Je me trompe cependant, ils avaient peut-être un idéal : le vieux grognard, le patriotisme, ce vieux patriotisme du moins pour qui la plus haute vertu est de glorifier quand même sa nation à soi, de ne point rendre justice aux autres, de ne point respecter leurs droits. Tel était l’élément épique du temps, la corde grave. Romanciers, chansonniers et historiens travaillaient tous à nous transmettre l’antique esprit de brutalité, qui, à l’heure qu’il est, voudrait donner pour mission à la France de forcer tous les autres peuples à vivre malgré eux comme elle l’entend, suivant ses principes.

Et pendant ce temps à quoi étaient occupés les esprits sérieux ? A des études historiques et archéologiques qui sans doute ont porté de bons fruits, et qui eussent été fort louables, si elles ne leur avaient pas fait négliger la besogne urgente du jour, mais qui malheureusement leur firent tout oublier, peut-être parce que leur culte pour le passé tombait un peu dans l’idolâtrie, parce que trop souvent ils étaient puérilement épris de cérémonies, de symboles, de manières de dire et de manières de faire. En dehors des graves travaux que la philosophie,