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faiblesses de la camaraderie ont eu le plus beau jeu. La camaraderie, les complaisances, cela veut dire bien des choses. Cela ne signifie pas, simplement que l’écrivain complaisant manque d’une faculté-droiture (il pourrait en avoir d’autres) ; cela signifie qu’il manque absolument de tout ce qu’il faut pour bien faire n’importe quoi. Lui-même nous l’apprend : il est un homme qui, dès qu’il a un désir, — celui, par exemple, de gagner les bonnes graces de quelqu’un, — se laisse étourdiment entraîner à des actes qui, à l’avenir, l’empêcheront de satisfaire une infinité d’autres désirs, car bien certainement il en a d’autres, ne fût-ce que le besoin de tirer parti de sa plume, d’arriver à la réputation d’être pris au sérieux quand cela sera nécessaire pour le conduire à ses fins. Mais de tout cela il ne tient nul compte : son désir du moment est comme l’enfant qui dans la rue court à son but, sans regarder s’il se jette sous la roue des voitures. Quand un homme se montre si myope dans la poursuite de ses intérêts, on peut être sûr qu’il le sera comme penseur, que toujours il ne tiendra compte que de l’impression du moment, qu’à chaque instant il aura des conclusions que contrediront celles de l’instant d’après, en un mot qu’au lieu d’être un homme, une unité vivante, il sera, comme le chaos, un amas de contradictions. Le pis, c’est que, quand de telles faiblesses se multiplient, cela prouve aussi que le pays n’a pas de clairvoyance pour juger et voir ce que signifient les choses, qu’il ne sait pas découvrir comment un mensonge signifie un caractère capable de mentir, ou que, s’il le découvre, il l’oublie et n’agit pas en conséquence, c’est-à-dire qu’il est, lui aussi, un amas de contradictions. N’avons-nous pas quelque peu mérité une telle accusation ? La presse, le publiciste plutôt n’a-t-il pas eu en effet le droit de croire jusqu’à un certain point que c’était tout un pour lui de faire bien ou mal, et qu’il ne serait pas apprécié ou déprécié suivant l’effet qu’il pouvait produire sur l’esprit public ? Politique ou littéraire, le même journal a pu chaque jour dénaturer les faits, prédire ce qui ne se réalisait pas, glorifier ce qui était dangereux, et chaque jour il a pu recommencer sans faire conclure à ses lecteurs qu’il était un fort mauvais prophète, un apôtre de discorde, un oracle dont le propre était de ne pas voir ce qui était visible pour d’autres.

À ce budget des méfaits de la presse, on pourrait ajouter un douloureux chapitre sur l’exemple qu’ont donné comme hommes privés les condottieri du journalisme, sur leurs orgies si affichées et qui ont fait une si désastreuse propagande, sur ces mœurs littéraires enfin qui ont contribué à mettre en honneur la vie de Bohême, à tel point que la jeunesse, l’éternel recueil des lieux communs, a inscrit dans sa mémoire, comme deux synonymes, les mots désordre et génie ; mais