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possible pour un pays qui, n’expliquant jamais ses malheurs que par les fautes du pouvoir, est ainsi prédestiné à haïr, à discréditer et à tenter de renverser toutes les constitutions imaginables, jusqu’à ce qu’il ait trouvé celles qui pourront créer d’admirables résultats sans exiger qu’il en fournisse lui-même les élémens.

Des principes, des thèses, des systèmes d’organisation ? c’est bien de cela qu’il s’agit, grand Dieu ! « Est-ce qu’une Bible dans toutes les maisons, demande Emerson aux sociétés bibliques, aura le pouvoir de guérir toutes les plaies du monde et de redresser tout ce qui est tordu ! » Est-ce que nos associations démocratiques, monarchiques ou socialistes en sont encore à croire qu’il suffit de réaliser leurs petits plans d’architecture pour que désormais il n’y ait plus rien à faire ? « Ce ne sont pas des actes qu’il nous faut, dirai-je avec le même penseur, mais des hommes : les actes sont comme le passage de la main qui coupe l’air ; la terre ne laisse pas de trace dans l’espace. » Aux questions résolues succèdent les questions à résoudre : les hommes seuls ne passent pas, et eux seuls se perdent ou se sauvent, parce qu’ils possèdent ou ne possèdent pas la puissance de faire dans tous les cas ce qui est le convenable et le nécessaire. J’admets que la cause de tel ou tel journal soit excellente et parvienne à triompher. Et après ? — Après, elle-même aura fait son œuvre ; ce qui demeurera, c’est ce que le journal aura mis dans les esprits par sa manière de la défendre. Ce qui demeurera, s’il a fait ce que font nos journaux, ce seront les instincts haineux, l’esprit d’étourderie et de système, et toutes les habitudes de violence ; ce sera le règne de la force brutale et tout ce qui produit les pouvoirs ennemis du progrès, les oppositions ennemies de tout ordre et les révolutions ennemies de toute prospérité ; ce sera un pays ou les diverses opinions se redouteront, parce que chaque opinion aura pour loi de n’exister que pour nier et empêcher de vivre tout ce qui n’est pas elle. Dans ce monde tout mathématique, on peut prédire qu’un journal qui débute par inscrire un axiome en tête de ses colonnes aboutira forcément à l’opposition quand même et à la mauvaise foi, car il est lui-même une idée qui ne descend dans l’arène que pour tuer, une conclusion à priori qui a résolu, fermement résolu de n’admettre sur toute question que les décisions qui la confirment. Il est une coalition d’hommes qui font ce qu’on a tant reproché aux jésuites, qui jurent de ne plus se guider d’après leur propre raison et leur propre conscience, et de former à eux tous une machine de guerre sans yeux et sans ame, une mécanique à répéter sous toutes les formes une idée donnée et à faire en toute circonstance ce qui est le plus propre à lui assurer l’empire du monde. Voilà cependant ce qu’ont été nos journaux. Ils ont organisé la guerre des idées, et ils ont si bien réussi, que nul Français n’ose prendre