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des empereurs, se chargea de les éclairer l’un et l’autre sur leurs sentimens mutuels, car ils s’aimaient, et il leur conseilla de se marier. L’idée d’un mariage romain, d’une alliance avec quelque noble matrone, se présentait fréquemment à l’ambition des barbares attachés à l’empire, comme le couronnement de leur fortune et le complément nécessaire de la romanité. Quoique les lois prohibassent ces unions mixtes dans les rangs inférieurs de la population romaine, la politique des empereurs les facilitait dans une sphère plus élevée. Plus d’une fois les Césars accordèrent au chef étranger qu’ils voulaient récompenser magnifiquement la main de quelque noble héritière de Grèce ou d’Italie, et plus d’un traité politique contint une de ces clauses de mariage dont les empereurs garantissaient l’exécution[1]. C’était là une espérance à laquelle un barbare haut placé pouvait se livrer sans folie ; mais entrer dans la maison impériale, épouser une fille née sur la pourpre, s’allier à l’éternité des Césars, c’est à quoi mil n’eût osé aspirer. Stilicon, il est vrai, était devenu le mari de Sérène ; mais Sérène n’était qu’une nièce de Théodose, et Stilicon, fils d’un père arrivé aux plus hauts emplois, n’avait de barbare que son origine ; pour tout le reste, il était un Romain accompli. Quelle différence avec Ataülf, tout récemment échappé de ses forêts pour saccager Rome ! Ces réflexions assiégèrent sans doute l’esprit du frère d’Alaric, quand on vint lui parler d’épouser la sœur d’Honorius, la fille du grand Théodose, et, de son côté, Placidie n’éprouva pas, à ce qu’il parait, de moindres perplexités, car il fallut, nous dit l’histoire, tout le zèle et les bons avis de Candidianus (c’était le nom du négociateur) pour conduire à fin cette entreprise délicate.

Enfin les noces se célébrèrent, le 1er janvier 414, dans la maison d’Ingenuus, riche citoyen de Narbonne. Attale, homme de ressources, et, suivant l’occasion, empereur, bouffon ou poète, entonna un épithalame qu’il avait composé pour la fête, et dont il chanta les passages les plus galans, laissant à deux poètes gaulois, Rustacius et Phoebadius, le soin d’achever ses vers ou de réciter les leurs, devant cet auditoire mélangé de toges et de peaux de mouton. Placidie, parée de la pourpre des impératrices, était à demi couchée sur un lit drapé à la manière romaine ; près d’elle s’assit Ataülf, portant le manteau et le reste du costume romain. Il était petit, mais bien fait et d’une figure agréable. Parmi les présens offerts par l’époux à l’épousée, on remarqua cinquante jeunes garçons vêtus de soie, qui tenaient chacun

  1. L. un. C. T. de Nupt. Gent. — On peut voir dans Eunape, Excerpt. Leg., comment Théodose maria le Goth Fravitta à une jeune romaine. Cf. Prisc. Leg. ; Script. rer. August. pass.