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avec une gravité compassée ; mais le soir, à table, rejetant toute prétention à la dignité, il devenait joyeux compagnon, ami du vin, de la bonne chère et des gais propos, qu’il poussait parfois jusqu’à la bouffonnerie. Au reste, tel qu’il était, on l’aimait ; Honorius lui croyait du génie, et sa constante fortune lui avait appris à ne douter de rien. Cette mission, moitié politique, moitié domestique, de reconquérir la fille du grand Théodose, exalta son amour-propre outre mesure et lui fit concevoir une idée devant laquelle tout autre aurait reculé. Il imagina qu’il obtiendrait aisément d’Honorius la main de la princesse, quand il l’aurait délivrée, et il ne doutait pas que, d’un autre côté, celle-ci n’acceptât avec reconnaissance son libérateur pour époux ; mais, lorsqu’il put soupçonner, aux refus persistans d’Ataülf et au peu d’empressement de Placidie, que ce barbare cachait peut-être un rival, son orgueil humilié se souleva, et il commença la guerre pour son propre compte.

On vit alors un étrange spectacle : le frère d’Alaric, le second auteur du sac de Rome, le jeune barbare irritable, effréné dans ses vengeances et si prompt à ressentir l’injure, évitant maintenant de riposter aux attaques et se payant des plus vains prétextes. On eût dit qu’il n’avait plus qu’un souci, celui de désarmer, par la soumission, l’empereur qui violait si outrageusement leur traité, et de ménager le lieutenant qui le harcelait en son nom. Une métamorphose analogue à celle de son caractère s’était opérée dans ses idées politiques. Ce n’était plus le fier barbare qui voulait que Romanie devînt Gothie par la vertu de son épée ; le César-Auguste des Goths, se dérobant à la lutte avec sa captive, prenait bien plutôt les allures d’Antoine. Il se vantait de comprendre à présent la beauté du monde romain, cette obéissance volontaire, ces lois, ces arts, cette société universelle, et il s’écriait, avec l’accent du regret, que ses Goths étaient trop sauvages pour subir le joug d’un pareil gouvernement, que leur domination n’apporterait avec elle que des ruines, qu’il valait donc mieux qu’ils servissent Rome et se consacrassent à l’affermir. « Ne pouvant être le fondateur d’un nouveau monde, disait-il dans son naïf enthousiasme, il voulait être le restaurateur de l’ancien. » Tel était le langage qu’il tenait aux Romains et aux barbares qui l’approchaient. Il ajouta plus tard, dans les confidences de l’amitié qu’il devait le changement de ses idées aux leçons de Placidie, qui lui avait appris à voir Rome avec d’autres yeux et à soutenir ce qu’il voulait briser autrefois. Noble et touchant enseignement de la fille de Théodose dans les fers, convertissant le frère d’Alaric à l’amour de Rome et conjurant, par la puissance même de sa faiblesse, les maux que la folie déloyale de son frère pouvait déchaîner sur l’empire ! Les Goths, qui ne voyaient dans les ménagemens