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de sa nullité. Il conseilla au roi goth de quitter l’alliance romaine sans plus d’hésitation, et d’aller se joindre à Jovinus avec toutes ses forces, garantissant d’avance les bonnes dispositions de l’empereur gaulois. Ata£uf se laissa persuader, et, suivi de son armée, il se fit conduire par Attale au camp de Valence, comme s’il y eût été attendu. Jovinus, stupéfait de cette étrange visite, s’en expliqua à mots couverts, mais rudes, avec Attale, devant le roi goth, qui devina aisément le sujet de leur querelle et pouvait s’en montrer blessé ; mais la terrible épée qui avait forcé Rome était là, et, sans balancer plus long-temps, il fallait que Jovinus l’eût pour lui ou contre lui. Le Gaulois se radoucit donc, et l’on signa un traité qui stipulait, selon toute apparence, que les Visigoths, après avoir aidé Jovinus à expulser les Romains de la Gaule, partageraient le pays avec lui ; selon toute apparence encore, une réserve fut faite pour Attale, ou du moins quelque espérance lui fut laissée de reprendre un jour le titre d’empereur.

Une pareille alliance était de sa nature prédestinée aux orages, et bientôt on les vit éclater. Quelques jours après son arrivée au camp de Valence, Atalle apprit qu’on y attendait son compatriote Sâr, que les Romains appelaient Sarus, naguère commandant de la division des Goths auxiliaires au service d’Honorius, aujourd’hui brouillé avec l’empire, et qui, pour se venger, avait offert son épée à Jovinus. Celui-ci n’avait eu garde de refuser une coopération si utile et si brillante, car Sarus, comme homme de coup de main, était réputé un des premiers généraux de son temps, et Jovinus lui réservait probablement la direction supérieure de cette guerre. Mais le compatriote d’Ataülf s’était montré constamment l’ennemi personnel d’Alaric et le sien ; il les avait combattus en toute rencontre avec l’acharnement de la haine ; c’était même lui, ainsi que je l’ai dit, qui, par une attaque déloyale en pleine paix, avait décidé Alaric à sa dernière et funeste marche sur Rome. L’idée de se trouver face à face avec l’ennemi de sa famille, d’être obligé de s’entendre avec lui, de lui obéir peut-être, fit bondir le Visigoth de fureur, et réveilla dans son ame la soif de vengeance et les instincts féroces du barbare. Son parti fut bientôt arrêté. Prenant avec lui dix mille hommes d’élite, il entra dans les Alpes et alla se poster sur le chemin que devait suivre Sarus. On ignorait comment celui-ci arrivait, s’il venait seul ou accompagné de troupes : il était seul, ou du moins escorté de dix-huit à vingt compagnons seulement. Tombé dans l’embuscade d’Ataülf, il devina à qui il avait affaire, et ne songea plus qu’à bien vendre sa vie. Avec la force prodigieuse qui s’unissait chez lui à une taille gigantesque, il se fut bientôt fait, à coups d’épée, un rempart de cadavres à l’abri duquel il se tenait comme dans un fort. Nul n’osait plus approcher le géant furieux, lorsque Ataülf se fit apporter un de ces filets que les cavaliers barbares savaient