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au temps de Théodose. Plus d’un enfant du Nord arrivait alors sur le sol romain, fier et arrogant, pour s’en retourner fasciné et vaincu. D’autres, de peur de se renier eux-mêmes, s’interdisaient prudemment toute visite dans l’empire, témoin cet Athanaric, un des prédécesseurs d’Ataülf au trône des Visigoths, qui, après avoir juré, sous la foi du serment le plus redoutable, qu’il ne toucherait jamais du pied la Romanie, et avoir tenu trente ans sa promesse, attiré enfin à la cour de Théodose, s’écriait dans l’ivresse de son admiration : « L’empereur est un dieu sur la terre, et quiconque lève la main contre lui mérite de payer ce crime de tout son sang. » Il fallut à Ataülf, qui avait vu Rome dégradée, plus de temps pour se laisser gagner, pour comprendre le spectacle auquel il assistait en aveugle, pour reconnaître que la force matérielle n’était pas seule au monde, et que du sein des ruines qu’il avait faites il s’élevait une autre force insaisissable, plus puissante que l’autre, et capable de l’asservir lui-même. Cette éducation se fit pourtant, et, comme on le verra, la captive que le sort des batailles lui avait livrée ne fut pas inutile à sa métamorphose.

Placidie n’avait guère plus de vingt ans. Soeur consanguine d’Honorius, elle était née du second mariage de leur père avec Galla, cette impérieuse fille de Valentinien Ier, qui vint en Orient se faire aimer de Théodose et mettre sa main au prix d’une guerre civile. Placidie résumait dans un caractère à la fois gracieux et viril les traits saillans de sa race : la séduction féminine de sa mère, l’enthousiasme religieux de son père et quelque chose de l’inflexibilité, parfois cruelle, de son aïeul Valentinien, le dur justicier. Son enfance avait été bercée de querelles religieuses, de complots, d’intrigues politiques. Elle travailla, du fond de son gynécée, à la chute de Stilicon, qui n’était pour cette sœur d’Honorius qu’un ambitieux et un traître à sa religion et à sa famille ; elle alla même à Rome poursuivre la veuve du ministre tombé, Sérène, sa propre tante, qui lui avait long-temps servi de mère, et l’accuser devant le sénat d’intelligences secrètes avec Alaric, à la suite de quoi Sérène avait été étranglée comme criminelle d’état. Tel fut le début de Placidie dans la vie politique ; elle le fit pourtant pardonner aux entraînemens de son fanatisme, quand on la vit, en 410, venir s’enfermer dans les murs de Rome, qu’Alaric menaçait de brûler, et confondre sa destinée avec celle du peuple romain. On put reconnaître alors la fille et la petite-fille des grands empereurs. Devenue captive des Goths, elle supporta son malheur avec résignation et dignité. Ses grossiers vainqueurs la respectaient et l’admiraient ; Ataülf ne se lassait pas de l’interroger, de l’entendre, de la consulter à tout propos : on l’eût crue plutôt la souveraine que l’esclave de cette horde vagabonde qui la traînait dans ses chariots.

Les Visigoths passèrent l’année 411 en courses, en pillages, en essais