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été de se faire dans l’empire romain une place digne de lui, à l’instar d’Arbogaste, de Stilicon, ou même de Gaïnas[1], de devenir comte, généralissime, patrice, et il avait entrepris la dernière guerre pour réclamer le titre de maître des milices qu’on lui avait promis, et une indemnité qu’on lui devait. L’indemnité, il venait de se la payer cruellement de ses propres mains ; mais les charges, mais les dignités romaines, comment oser les réclamer tout fumant du carnage et de l’incendie de Rome ? Il espéra que Placidie serait pour lui un moyen de regagner le terrain qu’il avait perdu, et quand il partit, après trois jours de dévastations, il eut soin d’emmener sa captive, qu’il fit traiter d’ailleurs avec tout le respect auquel aurait eu droit une reine barbare. Il emmenait également dans les bagages de son armée, et avec des marques de considération tant soit peu ironiques, un autre personnage qui doit tenir une place assez importante dans notre récit.

Priscus Attalus (c’était son nom), riche citoyen d’Ionie, promu au sénat romain, pouvait passer pour le type parfait des nobles de son temps, brillans, spirituels, incrédules au fond pour la plupart, et païens par mode. Il composait de petits vers érotiques qu’il chantait en s’accompagnant de la lyre, en même temps qu’il correspondait sur des matières assurément plus graves avec le grave Symmaque, qui l’appelait son fils. Ce patricien accompli, bienveillant et affable pour tous, était devenu l’idole du sénat ; on l’avait vu successivement préfet de la ville et intendant des largesses sacrées. Lorsque le sénat, en 409, voulut intervenir comme pacificateur entre l’empereur et Alaric, il ne crut pouvoir mieux faire que de confier en grande partie à Attale la conduite d’une négociation si délicate ; mais Attale était rongé secrètement de l’ulcère qui dévorait cette société : la passion du pouvoir suprême, ce désir fiévreux d’endosser la pourpre, qui faisait passer le manteau des Césars, comme par un mouvement perpétuel, sur de si nombreuses et si indignes épaules. Quelques caresses du roi barbare suffirent au négociateur pour lui faire déserter la cause d’Honorius et l’enrôler dans la sienne. Leurs conventions faites et l’intrigue montée dans l’intérieur de Rome, Attale, imposé par les Visigoths comme le seul gage possible de paix, fut proclamé empereur par le sénat, et aussitôt il prit Alaric pour son maître des milices, et pour comte des domestiques, c’est-à-dire commandant de ses gardes, le beau-frère d’Alaric, Ataülf[2], que celui-ci avait fait venir de Pannonie avec une

  1. Le Franc Arbogaste avait été généralissime des armées romaines sous Eugène, et empereur de fait ; le Vandale Stilicon, régent de l’empire pendant la minorité d’Honorius, avait été le personnage le plus important de l’Occident ; le Goth Gaïnas, à la même époque, était tout-puissant en Orient.
  2. Άδάουλφος, Ataulphus, Atawlfus, en langue gothique Ata-ülf, Ata père, hülf ; secours, secourable à son père.