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le roi lavait les pieds de treize pauvres choisis parmi les plus souffrans : touchant symbole qui donnait à la couronne une sorte de prestige mystique et qui grandissait pour ainsi dire la royauté en l’abaissant devant les pauvres, ces amis de Dieu, par un acte d’hommage plus humble que tous les hommages qu’elle-même imposait à ses grands vassaux.

Comme les notables bourgeois de Mantes, les consuls de Nîmes et les rois de France, les orfèvres de Paris[1] donnaient, le jour de Pâques, aux malades de l’Hôtel-Dieu, aux prisonniers et à un grand nombre de pauvres, un dîner en vaisselle d’or et d’argent, dîner dans lequel ils servaient eux-mêmes. Cet usage, qui remontait à 1260, s’est maintenu jusqu’au XVIIIe siècle. Les autres métiers de la capitale faisaient également participer les malheureux aux repas solennels des confréries, et de la sorte, depuis le roi jusqu’aux artisans, chacun dans le royaume de France devenait à certains jours le serviteur ou le commensal du pauvre. C’était peu sans doute que de pareils secours ; mais, s’ils n’apportaient à la misère qu’un soulagement passager, ils avaient du moins l’avantage d’entretenir l’esprit de charité, et d’établir des rapports bienveillans entre ceux qui possédaient et ceux qui ne possédaient pas.

Outre l’argent, les vivres et les secours en nature qu’elles distribuaient aux indigens, un grand nombre de corporations et de confréries avaient fondé des hospices et des établissemens de charité. À Rouen, dès l’an 514, on trouve une maison de refuge destinée à recevoir, en cas de misère ou de maladie, les ouvriers qui travaillaient à la confection des vêtemens, et, en 1298, on voit les confrères écrivains de la ville d’Orléans faire disposer une espèce de chauffoir public pour abriter pendant les nuits d’hiver les malheureux qui ne savaient où loger. Les corporations recueillaient et entretenaient décemment dans les asiles qu’elles avaient fondés et dotés les personnes anciennes et de bonne renommée ; car la bienfaisance ne s’exerçait point au hasard, et de même que, pour entrer dans le métier, il fallait tenir une conduite régulière, de même il fallait, pour entrer dans l’hospice, justifier de sa probité et de la régularité de ses mœurs.

Comme associations de bienfaisance et de secours mutuels, les corporations, les confréries présentaient de grands avantages ; mais la barbarie des mœurs, l’égoïsme individuel, en neutralisaient souvent l’utile influence, et, à côté du bien, elles offrirent, ainsi que le compagnonnage, dont elles étaient la contrepartie, de graves inconvéniens. On reconnut dès l’origine, et ce fait se trouve déjà signalé en 1372, que les pratiques de dévotion imposées aux confréries apportaient un grand obstacle à la production ; qu’en astreignant tous les confrères à cesser le travail à l’occasion des baptêmes, des mariages, des enterremens, on leur enlevait le profit d’un grand nombre de journées ; que les fonds destinés à des œuvres de charité étaient souvent dilapidés dans des banquets ; qu’on allait boire sous ombre de messe, et qu’enfin ces confréries, constituées sous l’inspiration d’une pensée mystique, avaient fini par dégénérer en associations burlesques dans lesquelles les choses les plus saintes se trouvaient

  1. On peut lire en détail la curieuse histoire de cette corporation dans une publication qui, commencée en 1849, donne successivement les annales des corps de métiers sous ce titre : Le Livre d’or des Métiers.