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se trouver placée sous une juridiction particulière. Les officiers à qui cette juridiction était confiée portèrent, suivant les temps et les lieux, les noms d’eswards, mayeurs de bannière, gardes, syndics, prud’hommes, maîtres ou jurés. Dans les corporations qui se livraient au commerce, on les appelait maîtres ou gardes ; dans celles qui exerçaient une profession manuelle, on les appelait jurés : de là la distinction des maîtrises et des jurandes, c’est-à-dire des corporations de marchands et des corporations d’ouvriers.

Les jurés et les gardes visitaient les ateliers, les boutiques, vérifiaient les marchandises, les poids et mesures, apposaient les sceaux et marques, présidaient à la réception des apprentis et des maîtres, constataient les contraventions, opéraient les saisies, levaient les amendes, et faisaient la répartition des impôts que les communautés percevaient à leur profit. Ils réglaient en outre les affaires contentieuses, administraient les biens de la corporation, comme les tuteurs administrent ceux de leurs pupilles, et chaque année ils rendaient compte de leur gestion, dont ils restaient, pendant un certain temps, solidairement responsables. Les fonctions de gardes ou de jurés étaient obligatoires : ceux qui avaient été désignés pour les remplir devaient les accepter sous peine d’amende, quelquefois même sous peine de perdre le métier ; car c’était un principe général dans notre ancien droit, que nul ne pouvait se soustraire aux charges honorifiques, quand l’exercice de ces charges se rattachait à un objet d’utilité publique, et surtout quand il était conféré par l’élection.

Les jurés étant choisis parmi les gens de chaque métier, les artisans avaient l’avantage d’être jugés par leurs pairs ; mais, en laissant aux officiers de la police industrielle une part assez forte des amendes et des confiscations, les statuts ne les encourageaient que trop à une sévérité excessive, et l’ouvrier qui faisait sa besogne en conscience restait exposé à une foule de mesures vexatoires, ceux qui devaient contrôler et juger son œuvre étant directement intéressés à la condamner. Les jurés, il est vrai, ne jugeaient point toujours en dernier ressort, et l’ouvrier avait, pour garantie contre des décisions injustes, l’appel devant les officiers des bailliages royaux ou des échevinages Outre la surveillance de police exercée par des officiers délégués ad hoc, il y avait encore la surveillance collective exercée par les artisans eux-mêmes, qui étaient astreints, sous la foi du serment et sous des peines sévères, à dénoncer tous les abus, toutes les contraventions dont ils pouvaient avoir connaissance. Ainsi, par une de ces contradictions qui éclatent à chaque pas dans le moyen-âge, la même loi qui prescrivait à tous les membres d’un même métier l’union et la charité leur prescrivait en même temps la délation. C’était là une prescription d’autant plus immorale, que les mêmes familles se groupaient souvent dans les mêmes corporations, et de la sorte ce n’étaient point seulement des confrères, mais des parens qui devaient se dénoncer. Cette obligation fut rigoureusement maintenue jusqu’à la révolution française. D’exceptionnelle qu’elle était d’abord au moyen-âge, elle devint même à peu près générale dans les derniers temps, et Colbert eut le tort grave de lui donner une sanction et une extension nouvelles.

Indépendamment de l’organisation élective de l’administration des jurandes, nous trouvons encore, dans la police administrative de certains métiers privilégiés et riches, une sorte d’organisation féodale. Ainsi le grand chambrier de