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à la tâche, qui assure à l’artisan des profits en rapport avec son habileté, était à peu près inconnue, et l’homme actif, expérimenté, donnait pour le même prix le même nombre d’heures que l’ouvrier chétif et maladroit. La théorie de l’égalité des salaires régnait dans toute sa rigueur.

Dans les villes de quelque importance, le commencement et la fin du travail étaient annoncés à son de cloche. Ce droit d’avoir une cloche, soit pour convoquer les assemblées de la commune, soit pour appeler les artisans à leur ouvrage, constituait l’un des privilèges municipaux les plus notables du moyen-âge. C’était une délégation directe de la royauté. Il résultait de là que la cloche se trouvait en quelque sorte investie d’une autorité souveraine. C’était au nom du roi, au nom des magistrats municipaux, représentans de la couronne, qu’elle appelait les ouvriers. À Commines, et dans d’autres villes encore, ceux qui la sonnaient en contrevenant aux règles établies étaient punis de mort ; ceux qui n’obéissaient point à son appel étaient coupables, non pas d’un simple délit de police, mais d’une véritable rébellion. Les magistrats municipaux eux-mêmes, qui, de leur propre autorité et sans avoir consulté les gens de métier, changeaient les heures auxquelles la cloche devait sonner, s’exposaient à être traités comme violateurs de la loi. C’est là en effet ce qui arriva, en 1275, à Guillaume Pentecoste, maire de Provins, qui était alors une des principales villes drapantes du royaume. Pentecoste ayant de son autorité privée fait sonner une heure plus tard que de coutume la cloche des ouvriers drapiers, ceux-ci se portèrent en foule à sa maison et le mirent à mort. Le châtiment fut terrible comme l’émeute. La cloche avec laquelle les ouvriers avaient sonné le tocsin fut brisée, l’échevinage mis en interdit, les privilèges suspendus. L’église, qui s’était émue, comme la royauté, de ce crime populaire, excommunia le bourgeois qui avait succédé à Pentecoste dans le gouvernement de la ville ; le droit d’asile lui-même fut impuissant à protéger les coupables : les uns furent pendus, les autres bannis, et sur la tombe du maire assassiné on éleva une statue qui le représentait en habit de chevalier, un poignard dans la poitrine[1].

Le salaire du travail, comme sa durée, était fixé par des règlemens empreints souvent de l’esprit le plus tyrannique. Ces règlemens étaient, soit des statuts de métier, soit des ordonnances de police locale, soit enfin des édits royaux. Pour donner à de pareilles lois une apparence d’équité, il eût fallu maintenir toujours un parfait équilibre entre le salaire et le prix des objets de consommation ; mais la prévoyance des hommes du moyen-âge ne s’étendait pas jusque-là. La plupart des denrées étant tarifées, et ce tarif pouvant être modifié sans cesse par des pouvoirs différens les uns des autres, il arrivait souvent qu’on augmentait le prix de ces denrées sans augmenter le prix du travail. Les conditions s’en trouvaient ainsi brusquement changées, et l’ouvrier était exposé de par la loi à mourir de faim. Les ordonnances particulières de police, promulguées pour des localités restreintes, sous l’influence des besoins du moment, et avec une connaissance parfaite des ressources que présentait le pays, pouvaient, jusqu’à un certain point, concilier tous les intérêts ; mais il n’en était pas de même des édits royaux, qui s’étendaient à la France entière. Régler uniformément le salaire pour tout le royaume, c’était supposer que les

  1. Bourquelot, Histoire de Provins, t. I, p. 239.