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D’importantes études ont été publiées dans cette Revue même à l’occasion de la lutte économique dont nous venons de parler[1], et, comme cette lutte est l’un des faits dominans de ces dernières années, nous avons pensé qu’il y aurait peut-être quelque intérêt à étudier dans l’histoire, et comme point de comparaison, les questions qu’elle a soulevées. Quelles étaient dans la vieille France les lois qui régissaient le travail ? A quels pouvoirs les gens de métiers, considérés comme travailleurs, étaient-ils soumis ? Quelle influence le système corporatif a-t-il exercée sur la condition des classes ouvrières ? Quelle est dans la constitution de ce système la part de la démocratie et la part du christianisme ? Sommes-nous, sous le rapport du bien-être matériel des populations laborieuses, en progrès ou en décadence ? Le régime moderne de la liberté pour l’industrie est-il supérieur au régime ancien de la réglementation administrative ? Telles sont quelques-unes des questions que nous voudrions éclairer, en laissant toujours parler la simple analyse des textes, la simple exposition des faits, et en signalant les recherches, trop rares encore, auxquelles on s’est livré récemment sur nos annales industrielles. C’est bien le moins que l’érudition, isolée dans ses ruines, en sorte quelquefois pour se mêler aux discussions actives, et qu’elle donne une sympathique attention à ces hommes des corporations, dont elle retrouve çà et là, sur les vieux parchemins des échevinages, les noms obscurs, dépouillés de tous souvenirs, à ces hommes qui sauvèrent la France sous l’oriflamme de Philippe-Auguste comme sous l’étendard de Jeanne d’Arc, et dont la vie simple et forte, emprisonnée dans les villes sombres du moyen-âge, fut sanctifiée par le travail, la souffrance et la probité.


I – Constitution du travail depuis la conquête romaine jusqu’à l’affranchissement des communes – Les premiers codes de l’industrie française

L’histoire du travail, dans l’ancienne France, peut se diviser en quatre périodes nettement tranchées. Dans la première, à partir de la conquête romaine jusqu’aux invasions barbares, nous trouvons l’esclavage, mais l’esclavage déjà adouci. Dans la seconde période, c’est-à-dire depuis la chute de l’empire d’Occident jusqu’à la fin du règne de Charles-le-Chauve, l’esclavage est remplacé par la servitude domestique. L’esclave est propriétaire de sa vie, et se trouve, dans une certaine limite, usufruitier du travail de ses bras. Plus tard, à la fin du IXe et dans le cours du Xe siècle, la servitude se transforme en servage. Dans cette condition nouvelle, l’homme, moyennant l’abandon d’une certaine partie des revenus de sa terre, d’un certain nombre de journées de travail, se possède soi-même, ainsi que la terre qu’il cultive ou les objets qu’il fabrique ; il n’est plus qu’un tributaire. Enfin, dans la quatrième période, que nous appellerons la période d’affranchissement, et qui commence au XIIIe siècle, on voit naître, avec un nouvel ordre dans l’état, une nouvelle constitution de l’industrie[2],

  1. Nous citerons notamment l’Organisation du Travail et l’Impôt de M. Léon Faucher, 1er et 15 avril 1848 ; la Question des Travailleurs de M. Michel Chevalier, 15 mars 1848.
  2. L’histoire du travail dans l’esclavage, dans la servitude, dans le servage, a été l’objet de travaux approfondis qui nous dispensent ici d’explications plus amples. Il suffit, en ce qui touche les deux dernières transformations, de mentionner les travaux de M. Guérard sur le Polyptyque de l’abbé Irminon et le Cartulaire de Saint-Père de Chartres, véritable chef-d’œuvre de patience et de sagacité, et qui restera sur ce sujet le dernier mot de la science. Nous ne nous occuperons ici que de la quatrième période.