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III

Rejeter les idées fausses exprimées non plus par tel ou tel historien de la révolution, mais presque par tous, et qui sont devenues comme les dogmes d’une partie de l’opinion égarée ; démêler au sein de la révolution elle-même la part du vrai et du faux, presque toujours confondus dans une solidarité fausse et dangereuse, telle est la tâche inévitable imposée à notre temps. Ici, pas de vérité qui en pratique ne soit une lumière et un bien, pas une erreur qui ne soit un péril.

Une première erreur, commune à presque tous les historiens de la révolution, c’est la foi qu’ils témoignent dans la puissance bienfaisante de l’insurrection. La révolution elle-même, il faut le rappeler, avait eu l’imprudence de mettre au nombre des droits constitutionnels celui de la résistance à l’oppression, sans définir ce qu’il fallait entendre par ce dernier mot. Les historiens se sont avancés plus loin : ils ont glorifié non-seulement l’insurrection qui résiste, mais celle qui attaque ; ils lui ont attribué une politique d’initiative, une vertu féconde ; ils ont paru accorder la préférence à l’instinct, aux volontés d’une partie du peuple, sur les pouvoirs constitués, qui représentent la raison sociale ; en un mot, ils ont fait dépendre le progrès des improvisations de la place publique. Il est clair que, tant que cette espèce de théorie, si commode pour les impatiens, si consolante pour les mécontens, subsistera dans les livres et dans les esprits, ce pays n’aura guère de repos à espérer. La théorie des révolutions est en grande partie à refaire sous l’impression toute vive encore des événemens de février. Quel progrès réél cette insurrection triomphante nous a-t-elle donné ? que subsiste-t-il de tant de décrets économiques dictés par la force à l’opinion ? Accuser la réaction ne signifie absolument rien : c’est le propre des révolutions prématurées et violentes d’amener les réactions inévitables. Rendue à sa libre allure, la société revient à sa manière d’être normale, comme l’arbre dégagé d’une contrainte factice à son attitude naturelle. La leçon du temps actuel, bien propre à éclairer le passé, c’est la puissance à peu près irrésistible du développement naturel et l’incapacité radicale de l’insurrection à réaliser le progrès. Étudiés à cette clarté que 1848 jette sur 1789, on verrait que les mouvemens insurrectionnels ont plus retardé qu’avancé la révolution qu’elles paraissaient accélérer en la poussant plus vite sur la pente des abîmes. Prétendre le contraire marque moins de foi que de défiance dans la puissance des principes et de la vérité. L’histoire contemporaine démontre que les insurrections ont bien pu arracher plus d’une fois des fruits encore verts : il est sans exemple qu’elles en aient mûri un seul avant l’heure.