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On a pu s’en convaincre peut-être par ces exemples : si l’histoire de la révolution de 1789 paraît avoir jusqu’à présent fort peu gagné, comme interprétation, à la révolution récente ; si, de son côté, la politique a oublié d’aller demander à ce grand passé, mêlé de bien et de mal, la connaissance de quelques écueils de plus et des lumières utiles, un trait commun aux écrivains les plus opposés, c’est le dénigrement systématique de la classe moyenne et du parti libéral et constitutionnel : vieille sympathie dans la haine ou vieux calcul machiavélique qui rapproche les partis extrêmes ! La cour faisait échouer une candidature modérée à la mairie de Paris en portant ses voix sur un révolutionnaire ; l’Ami du Peuple poursuivait de plus d’accusations et d’injures Mirabeau et Barnave que les princes émigrés : c’est l’image de l’histoire telle qu’elle s’écrit sous nos yeux. N’exagérons rien, ne poussons rien au pis ; ne nous demandons pas s’il n’y aurait pas là comme un indice d’une alliance possible tout autrement dangereuse, sur le terrain de la pratique, entre les partis extrêmes les plus irréconciliables. Que nous en soyons, du moins dans les livres, à une véritable jacquerie de bourgeois exécutée par des chroniqueurs absolutistes et par des pamphlétaires démagogues réunis, voilà qui n’est pas à contester. Pour ne parler que du passé, je me demande s’il y aurait à nous bien de la raison et même bien de la dignité à donner les mains à cette immolation historique, à cet holocauste de mémoires honorées ? Briser les statues que l’on avait élevées et consacrées, changer en boue, du jour au lendemain, les flots d’encens, ç’a été de tout temps le plaisir de quelques brouillons et de quelques factieux ; mais que cet entraînement devienne général, ce serait à désespérer du bon sens. Ne faisons pas aux révolutions cet honneur de jeter ainsi à leurs pieds, comme des gens qu’un coup de tonnerre aurait hébêtés, nos convictions et nos admirations de la veille. La leçon de l’histoire serait véritablement trop triste, si elle n’avait pour effet que d’enseigner aux gouvernemens et aux peuples qu’ils ont seulement le choix entre des hommes d’état comme M. de Maurepas ou des tribuns comme Robespierre, et de signifier à la France qu’elle ait à opter entre le droit divin et M. Barbès. L’histoire, ainsi comprise, au lieu d’être un conseil élevé de pacification et une lumière qui brille d’en haut sur notre chemin si plein d’obscures difficultés, ne serait plus qu’un banal instrument de propagande aux mains d’un parti, qu’un vulgaire brandon de guerre civile. Assez de germes de division existent dans le présent ; ce n’est pas là ce qu’il faut demander à la révolution française.