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par lui dans son Introduction à l’histoire. Inoffensive quelquefois, cette rêverie le plus souvent revêt un caractère menaçant. Inspiré et systématique, mêlé de traditions sacrées de réversibilité et d’expiation, en même temps que d’analogies singulières tirées de la géologie, son terrorisme plus raffiné et plus savant prétend procéder dans la formation du monde politique comme Dieu lui-même dans la création de ce globe, toujours bouleversé violemment avant d’accomplir un progrès : c’est la révolution arrangée à la mode et mise à la portée des savans ou prétendus tels et des mystiques de tous les bords. Au point de vue moral, je n’ai pas besoin de dire que ces hautes visées sont infiniment plus corruptrices que la plupart de celles que nous avons signalées, lesquelles laissent encore quelque place aux principes de morale ordinaire, altérés, mais subsistans. Pour ces petits Machiavels, au contraire, qui, ne sachant plus se contenter du fatalisme et du matérialisme tout purs, veulent, pour ainsi dire, y jeter de l’eau bénite ; pour ces ridicules Torquemadas de sociétés secrètes qui s’imaginent sanctifier l’échafaud du nom de Jésus-Christ, il n’y a, dans les révolutions, de criminels que parmi les victimes. Ceux à qui le vulgaire donne ce nom suranné sont des instrumens divins, et, humainement parlant, des honnêtes gens irrités. Croyez-en ces docteurs : Robespierre est un Fénelon aigri par le malheur de ses semblables. Si Marat demande du sang, ne voyez-vous pas que c’est pure tendresse, l’effet d’une philanthropie qui, satisfaite au début du sacrifice de quelques centaines de têtes maladroitement refusées par l’individualisme arrogant des aristocrates, a fini par prendre les plus sublimes proportions ? Qui ne sait que tout cela est dit en général d’un air très sincère, d’un ton presque attendrissant, avec une douceur d’ange ? Tête dure et cœur dur celui qui n’est pas touché, convaincu ! Comme disait Jean-Jacques, c’est un monstre à étouffer.

C’est ainsi que, pendant près de dix-huit ans, à dater surtout de 1834, on peut dire que les écrits sur la révolution française et l’émotion qui en a été la suite n’ont guère fait que marquer les pulsations de la pensée et de la passion démocratiques : livres et événemens s’inspirent, s’aidèrent merveilleusement les uns les autres. À des degrés divers, il n’est pas une de ces histoires qui n’ait travaillé, dans le passé comme dans le présent, à l’abaissement de la classe moyenne, qui n’ait préconisé, préparé l’avènement du radicalisme. Fondé sur une espèce de manichéisme social, tout le système historique s’est borné à voir dans le monde la lutte du riche et du pauvre, à exalter sans mesure à la fois la haine et l’espérance de celui-ci. C’est à cette propagande de dénigrement et d’utopie qu’ont abouti ces apologies de ce qu’il y a de moins pur dans la révolution et cet enrôlement de la religion et de la science, de la justice et de la fraternité travesties, prestiges